Maurice Briault (1874-1953), missionnaire et artiste

Maurice Briault est un nom qui ne vous dit peut-être pas grand-chose. Pourtant, les nombreux écrits et peintures laissés par ce missionnaire sont un témoignage unique de la vie dans l’Afrique du premier XX^e siècle.

Cet article est extrait du mémoire de Master 2 « Maurice Briault (1874-1953), missionnaire spiritain sur les pistes de l’Afrique noire ». Des exemplaires se trouvent aux archives spiritaines de Chevilly-Larue, au CRBC à Brest et à la bibliothèque diocésaine de Quimper.

Maurice Briault était un missionnaire spiritain¹ implanté au Gabon, une colonie regroupée avec d’autres (Moyen-Congo, Tchad, Oubangui-Chari) en 1910 pour former l’AEF (Afrique Équatoriale Française). Durant ses années sur place, le père Briault a noirci un grand nombre de carnets par ses notes et dessins. À son retour, il est devenu un grand propagandiste de l’œuvre missionnaire. Si son nom n’évoque de nos jours plus grand-chose aux oreilles du grand public, il reste un personnage encore renommé au sein de sa congrégation. Nous vous proposons d’en apprendre un peu plus à son propos.

Qui est Maurice Louis Briault ?

Celui-ci naît le 3 novembre 1874 à Percy, dans le département de la Manche. Son père est Albert Briault, un cultivateur. Sa vocation missionnaire lui est venue après une rencontre avec Alexandre Le Roy². Il se rend en 1892 à Langonnet³ pour y débuter ses études cléricales. Il effectue son service militaire de novembre 1894 à septembre 1895 au 136^e régiment d’infanterie, puis il poursuit ses études à Chevilly-Larue⁴. Il commence sa vie de missionnaire au Gabon. Il débarque à Libreville le 29 septembre 1898, à la mission Sainte-Marie. Il est ensuite envoyé près de la frontière avec la Guinée espagnole, à Rio Mouni, et entre en contact avec les nomades de la forêt équatoriale dont il apprend la langue. C’est à ce moment qu’il forge sa vision du « sauvage d’Afrique », dont il va faire l’étude durant une partie de sa vie.

Il rentre en France en 1904 pour un congé d’un an durant lequel il se rend en Suisse, à l’université de Fribourg pour y étudier la géographie et les sciences humaines, s’initiant notamment aux levés topographiques et aux enquêtes ethnologiques sous l’égide du professeur Jean Brunhes, qui deviendra notamment en 1912 titulaire de la chaire de géographie humaine au Collège de France.

Maurice Briault retourne en Afrique en 1905, de nouveau à Libreville, puis à Saint Martin-des-Apindjis. Il s’y sent mis à l’écart et inutile et demande donc son rappel, ce qui lui permet de revenir en France en février 1908. Il devient secrétaire de Monseigneur Le Roy. Son talent pour la peinture est découvert et on lui demande de décorer les murs de l’un des réfectoires de Chevilly-Larue.

Il est malgré tout encore une fois de retour au Gabon début 1910, cette fois à Ndjolé, où les choses se passent beaucoup mieux. Il s’agit de l’une des missions les plus actives du Gabon. Il en devient rapidement le supérieur, suite au départ précipité de son prédécesseur, le père Martrou. Mais la gestion est difficile, du fait de son manque d’expérience et du peu d’argent disponible dans la caisse⁵. Ses relations avec les paroissiens se dégradent. En 1912, une sévère dysenterie l’oblige à revenir en France.

De retour en France, il redevient le secrétaire particulier du Supérieur général de la congrégation, Monseigneur Le Roy, avec lequel il s’entend bien. Durant la Grande Guerre, il est est d’abord mobilisé le 2 août 1914 comme infirmier dans les hôpitaux de Bretagne, notamment à Rennes. Mais en août 1916, il accepte une affectation spéciale : se rendre au Cameroun Allemand y remplacer les pallotins, plus précisément : « prendre possession des biens de mission allemande du Cameroun et y continuer en occupation l’œuvre des anciens missionnaires allemands⁶ ». Il embarque en septembre avec six autres spiritains. Les religieux s’installent en octobre à la mission de Douala, toujours occupée par les militaires. Le père Briault devient vicaire, en plus de ses fonctions de maître d’école. Encore une fois, les choses se passent mal : il supporte difficilement le climat et ses relations avec les autres pères sont difficiles, ces derniers voulant le voir s’investir un peu plus. Sa santé se dégrade et il quitte Douala le 6 août 1918. Mais à l’escale de Dakar, on le sollicite pour rester au Sénégal afin de s’occuper des Européens, ce qu’il accepte. C’est un moyen pour lui de ne pas revenir en France, où il craint d’être envoyé au front. Son état de santé ne lui permettant pas de rester longtemps, il rentre finalement en avril 1919.

Il s’est toutefois de nouveau rendu en Afrique par la suite : il a effectué une grande tournée en 1932-1933 au Gabon et dans le reste de l’AEF, mais aussi au Cameroun, au Sénégal et en Guinée française. D’après Joseph Bouchaud, c’est la seule fois qu’il y est retourné⁷. Comme nous n’avons pas de sources pour dire si Maurice Briault a fait d’autres voyages en Afrique, c’est probablement vrai.

Toujours est-il qu’il tient un journal régulier et prend beaucoup de notes. Il réalise aussi de nombreux croquis et noircit beaucoup de carnets de dessins. L’ensemble de ces documents va lui permettre de forger son imaginaire et lui servir de base pour ses futurs travaux (livres, conférences, tableaux et expositions). Il tient son journal de manière régulière depuis ses études, mais il l’arrête avec la fin de la guerre. Il ne le reprend que pendant ses voyages. Dans les années 1920, il en effectue plusieurs en France et en Europe (Bretagne, Italie, Alsace).

Après son retour définitif à Paris, son activité principale est la direction des Annales des pères du Saint-Esprit, charge qu’il a reçue en 1913 et qui va l’occuper pendant plus de trente ans. Il y contribue beaucoup, à la fois en matière de textes et d’illustrations. La rédaction mensuelle pour cette revue lui permet de s’exercer et d’acquérir des compétences d’écriture qu’il n’avait pas au départ. Cette période débouche sur une dizaine d’ouvrages : en-dehors d’une biographie en 1914⁸, le premier sur le thème de la mission est Sous le Zéro Équatorial, paru en 1928. Il donne aussi un grand nombre de conférences. Il s’adonne également beaucoup à la peinture, dont plusieurs décorent les différents centres spiritains, et il participe à différentes expositions coloniales, comme celle de 1931. Il obtient pour ses œuvres et son travail plusieurs récompenses, notamment la Légion d’honneur en 1939. Sa revue cesse de paraître en mai 1940. La guerre est éprouvante pour lui, car il doit vivre dans un petit appartement non chauffé à Paris⁹. Après la guerre, il n’arrive pas à faire reparaître sa revue avant janvier 1947, quand elle change de nom pour prendre celui d’Annales spiritaines. Il se lance dans un voyage en Guadeloupe en 1948, mais cela l’épuise. Sa santé se dégrade. Il meurt à Paris le 5 mars 1953.

Quelles sont les sources laissées par le père Briault ?

On compte tout d’abord ses douze livres qui peuvent être classés suivant leurs thèmes. Quatre sont consacrés aux études et scènes africaines, et font le récit de la vie missionnaire : Sous le Zéro Équatorial (1928), Dans la forêt du Gabon (1930), Récits de la Vérandah (1939), et Sur les pistes de l’A.E.F. (1945). Trois autres ouvrages sont davantage portés sur l’étude des populations locales : Polythéisme et Fétichisme (1929), Le clergé indigène de l’Empire français (1943) et Les Sauvages d’Afrique (1943). Les deux premiers s’attardent sur les aspects religieux de la vie des autochtones, le troisième a une approche plus ethnographique. On compte également un volume intitulé L’architecture en pays de mission (1938), un recueil de conférences données sur le sujet par le père Briault. Enfin, il a rédigé quatre biographies : La Sœur Saint-Charles (1914), La prodigieuse vie de René Caillé (1930), Un grand évêque missionnaire : Mgr Le Roy (1939) et Le Vénérable père F.-M.-P. Libermann (1946), son dernier ouvrage.

Briault laisse aussi ses carnets de notes, qui lui servaient de journal. Il y en a 18 qui vont de 1893 à 1917. Il y a également ses carnets de voyage, en AEF de mai 1932 à juillet 1933, et en Guadeloupe de mars à décembre 1948.

Le père Briault est aussi un peintre et dessinateur très prolifique. Il a réalisé des œuvres picturales tout au long de sa vie. Aux archives de Chevilly-Larue, on compte 49 carnets de dessins qui couvrent l’ensemble de sa vie depuis sa jeunesse au séminaire, ainsi que plusieurs centaines d’aquarelles (il n’y a pas de décompte précis). Il a également peint des tableaux, dont certains ornent les centres spiritains¹⁰. Ces œuvres y sont pour beaucoup dans la renommée de Briault. Elles lui permirent en effet de participer à différentes expositions coloniales, comme à Marseille en 1922, au Vatican en 1925 et à l’exposition coloniale internationale de Vincennes en 1931. Il reçut même une commande du Vatican en 1929 de dix toiles pour décorer le musée pontifical du Latran. Les sujets de l’ensemble de ses œuvres sont variés. Les scènes africaines y tiennent une bonne place, en particulier dans ses tableaux et aquarelles. Maurice Briault a aussi peint au cours de ses voyages en France et en Europe : en Bretagne, en Alsace, en Allemagne et en Italie notamment. Dans ses carnets, on retrouve donc des représentations des endroits visités et des personnes rencontrées. Il y a aussi quelques caricatures, notamment d’hommes politiques et de clercs. Il a également réalisé des cartes postales, mais celles-ci ont, par nature, été vendues et donc éparpillées. Il n’en reste que peu dans les archives.

Maurice Briault est aussi et surtout connu comme le directeur de la Revue des Annales des Pères du Saint-Esprit (renommée Annales spiritaines à sa reparution en 1947). On peut encore en découvrir des exemplaires aux archives et dans les centres spiritains. Il a par ailleurs donné un certain nombre de conférences dans les années 1920-1930 et quelques-unes dans les années 1940. On peut trouver le texte de certaines dans le fond Briault aux archives de Chevilly-Larue. Toutefois, même si des textes y sont regroupés sous des cotes portant le titre « conférences », il n’est pas toujours possible de dire s’il s’agit bien de conférences ou de versions manuscrites d’articles parus dans sa revue. Ces textes portent sur différents sujets, principalement africains : les populations, les paysages ou l’architecture, l’art et le folklore. Il s’attarde bien évidemment sur la religiosité et le clergé local. Il aborde également le thème des missions elles-mêmes, sur un aspect plus logistique (organisation, fonctionnement, implantation). D’autres textes portent sur l’Histoire de la congrégation du Saint-Esprit et sur des sujets plus généraux concernant la religion catholique, le père Briault étant prêtre avant tout.

Pour conclure

Comme nous pouvons le voir, la vie du père Maurice Briault fut riche et son œuvre est vaste. Elle constitue un témoignage unique de la vie en Afrique au temps des colonies. Il faut toutefois bien noter qu’il était un homme de son temps, et que son point de vue sur un grand nombre de sujets peut aujourd’hui paraître caduc. Il n’en demeure pas moins que l’étude en est passionnante et nécessaire pour qui veut en apprendre davantage sur la mission et la colonisation.

1. La congrégation du Saint-Esprit fut fondée en 1703 par Claude-François Poullart des Places (1679-1709). Les spiritains sont installés sur le continent africain depuis 1778. [↩]
2. Alexandre Le Roy (1854-1938) fut le supérieur général de la congrégation de 1896 à 1926, après avoir été Vicaire apostolique du Gabon de 1892 à 1896. [↩]
3. L’abbaye de Langonnet, dans le Morbihan, est un centre spiritain qui abritait à l’époque une école secondaire, un scolasticat et un noviciat. [↩]
4. Un autre centre spiritain où se trouvait le séminaire du Saint-Esprit, aujourd’hui on y trouve notamment les archives de la congrégation. [↩]
5. Jospeh Bouchaud, « Notice biographique du P. Briault », Bulletin de la Province de France, n°66, janvier 1954, p. 197. [↩]
6. Éléments biographiques concernant Briault, base Léonore des titulaires de la Légion d’honneur : https://www.leonore.archives-nationales.culture.gouv.fr/ui/notice/55529. [↩]
7. Joseph Bouchaud, p. 197. [↩]
8. La Soeur Saint-Charles, Paris, Téqui éditeur, 1914. [↩]
9. Jospeh Bouchaud, p. 206. [↩]
10. Il a réalisé des peintures murales à Chevilly-Larue en 1908, à la maison-mère rue Lhommond en 1921, à Saverne en 1934, Langonnet en 1935, Weert en Hollande en 1936, Chevilly-Larue en 1937, Bouveret en Suisse en 1938, Piré-sur-Seiche en 1946, Saint-Ilan en 1946-1947 et de nouveau Chevilly-Larue en 1950. D’après Bénédicte Penn, R.P.M. Briault : peintures murales des missions spiritaines, texte tapuscrit, archives de Chevilly-Larue, cote 2D12.4b. [↩]

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