Des jardins partagés au cœur du pays brestois – on jardine, mais pas que, entre lien social, expérimentation potagère et engagement citoyen

Les jardins partagés se popularisent petit à petit en France à partir de la fin des années 1990 et beaucoup plus rapidement cette dernière décennie. Ceux-ci se développent principalement en milieu urbain, généralement sur des terrains en friche dont les mairies accordent l’utilisation aux jardiniers à condition qu’ils restent ouverts à tous.  Il existe par ailleurs différentes formes de jardins partagés,  celle où chacun gère sa propre parcelle de son côté ou encore celle où tout est décidé et  réalisé en commun par les participants. Qu’est-ce qui définit donc un jardin comme étant “partagé” ? Auteure d’un ouvrage sur le sujet, Cyrielle Den Hartigh en donne une définition que je me propose de reprendre ici : “Ce sont le plus souvent des jardins de taille réduite, insérées dans un tissu urbain dense et gérés par un groupe d’habitants. Ce sont davantage des jardins d’agrément que des jardins potagers vivriers. Lieux de flânerie et de jeux, de protection de la biodiversité, de création artistique, ces jardins sont des lieux de vie dans le quartier. Le mot “jardin” fait ici directement référence à un espace naturel aménagé par l’homme. L’Association des Jardins ouverts mais néanmoins clôturés (AJONC) parle de “jardin naturel partagé”. On y retrouve néanmoins très fréquemment un potager qui y tient une place centrale¹.”

Tous ces jardins partagés sont les héritiers des jardins ouvriers (également appelés jardins familiaux par la suite) nés à la fin du XIXème siècle. Ces terrains étaient alors mis à disposition par des propriétaires industriels pour permettre à leurs ouvriers d’améliorer leur quotidien et d’assurer une partie de leur subsistance en cultivant fruits et légumes pour leur famille.

La ville de Brest n’échappe pas à la règle et compte aujourd’hui presque une quarantaine de jardins partagés sous la houlette de l’association Vert le Jardin et cela fait aujourd’hui 20 ans qu’un des premiers a vu le jour. Si ces jardins sont de tailles inégales et plus ou moins dynamiques, ils ont en commun de ne pas être des jardins vivriers à proprement parler, à la différence des jardins familiaux que l’on cultive pour aider à sa subsistance.
Dans le cadre de cette enquête de terrain sur les jardins partagés brestois, cette première constatation laisse place à une question : dans quel but se rend-on alors au jardin partagé, et qu’est-ce qu’on y fait ?

Suivant les méthodes de recherche ethnographique, j’ai donc cherché un jardin qui pourrait être mon terrain pour cette recherche de Master 1. J’ai rencontré via l’association Vert Le Jardin des participants au jardin de Kérampéré qui m’a tout de suite paru être un endroit propice pour ma recherche. En effet, tout le monde y jardine en commun, ce qui permet de rentrer sur le terrain sans pour autant avoir besoin de demander une parcelle (pour lesquelles il y a généralement des mois d’attente) ainsi que sans prérequis de jardinage (étant tout à fait néophyte en la matière).

Je suis donc allée observer et surtout participer à plusieurs reprises au jardin de Kerampéré, rencontrant petit à petit les jardiniers et me présentant à chacun comme une étudiante en Master d’ethnologie souhaitant travailler sur les jardins partagés.

Ces premières observations m’ont permis de rédiger une ébauche de description quant au fonctionnement du jardin de Kerampéré.

Mon terrain principal pour cette étude ethnographique sur les jardins partagés brestois est donc le jardin de Kerampéré ou liorzh Kerampere. Ce jardin partagé est géré par l’association du même nom montée en 2015. Il s’agit d’une association loi 1901 qui comporte un bureau élu de trois personnes, à savoir un poste de président, un de secrétaire ainsi qu’un trésorier. Le terrain qui est en fait celui de l’ancien camping municipal laissé à l’état de friche depuis 2003 est prêté par la mairie via une convention qui vient d’être renouvelée. La ville alloue en fait un nombre de parcelles au jardin, celui-ci pouvant augmenter à la demande de l’association, le terrain étant beaucoup plus grand que l’espace occupé pour l’instant par le jardin. L’ensemble des parcelles est cultivé collectivement. L’association compte aujourd’hui une vingtaine de personnes et la cotisation annuelle s’élève à 10€ pour une personne seule et 15€ pour une famille.

Le projet de lancer un jardin partagé a vu le jour avec la mise en place par la ville de Brest et ensuite le quartier de Saint-Marc d’un Agenda 21, à la veille de la COP 21 de Paris. Un Agenda 21 est un plan d’action, ici au niveau de la ville ou même du quartier, pour le XXIème siècle qui vise la mise en place d’actions de développement durable, comme par exemple la diminution de l’empreinte carbone, la protection de la biodiversité ou bien la réduction des déchets. Le quartier de Saint-Marc a donc proposé aux habitants intéressés de s’engager dans cet optique et donc de développer des projets concrets. De là est né le projet du jardin partagé de Kerampéré.

Le fonctionnement du jardin est basé sur un mode d’autogestion. Celle-ci est définie par Cyrielle Den Hartigh dans son ouvrage sur les jardins collectifs comme étant un mode d’organisation où les décisions sont prises en commun par l’ensemble des participants². Du fait de ce mode de fonctionnement autogéré, les membres élus du bureau ont un poids décisionnel semblable à celui des autres jardiniers.S’il y a bien quelques fortes personnalités, il n’y a pas de « chef » à proprement parler, le jardin a différents référents, selon les personnes présentes ou non, de même, chacun possède ses propres spécialités et connaissances et est ouvert à celles de l’autre qui peuvent venir en complément. L’engagement des participants est d’ailleurs assez libre et repose sur un système de « qui peut, vient ». Il n’y a pas d’attente d’un nombre de séances de jardinage minimum. La participation dans la durée repose sur la bonne volonté de chacun.

La communication entre les jardiniers se fait principalement par mail, à travers une liste de diffusion. Dans les mails sont évoqués les différentes choses à faire au jardin, les plantations et améliorations futures, les événements à venir au jardin ou auxquels participe le jardin, etc. Ils servent aussi tout simplement pour bon nombre de jardiniers à prévenir lorsqu’ils comptent se rendre au jardin, dans le but de décider les autres à venir également et pour ne pas jardiner seul. Le jardin possède également un site internet, pas toujours très à jour, sur lequel figurent non seulement les événements à venir, mais aussi des photos et une compilation des articles de journaux sur les événements passés ainsi que des vidéos sur l’Agenda 21 du quartier.

Les membres de l’association se retrouvent très peu dans le cadre de réunions concernant le jardin. Ceux-ci préfèrent discuter directement au jardin lors des deux séances hebdomadaires du mercredi après-midi et du samedi matin. Par ailleurs, chacun est libre de venir jardiner quand bon lui semble, le jardin étant situé sur un terrain qui sert aujourd’hui également de jardin public, il est toujours ouvert. En plus de ces séances de jardinage, d’autres événements sont organisés assez fréquemment, certains au jardin comme des ateliers alimentation, la fête de la musique, les journées du patrimoine ou le comptage annuel des oiseaux, d’autres à la médiathèque du quartier où ont notamment lieu les « papotes » sur le jardinage ou encore la fête de la soupe.

Comme tous les autres jardins collectifs de la ville de Brest, celui de Kerampéré se voit dans l’obligation de respecter exclusivement des techniques de jardinage dite « au naturel ». Jardiner au naturel comme l’explique le jardinier Denis Pépin dans sa brochure référence pour le Finistère³ signifie en fait jardiner sans utiliser aucun intrant chimique, ceux-ci étant tous remplacé par diverses techniques visant à améliorer de nouveau la qualité et la vie de la terre pour qu’aucun produit chimique ne soit plus nécessaire. Les jardiniers vont donc utiliser compost, broyat, paillage, association des plantes pour éviter les maladies ainsi que de nombreuses autres techniques. L’idée est également bien souvent de récupérer ce que la nature produit déjà plutôt que d’acheter en magasin. Cette manière de jardiner remet donc au goût du jour le don et le troc, les déchets des uns faisant en effet le bonheur des jardiniers.

Afin d’acquérir ces nouvelles techniques, plusieurs jardiniers du liorzh Kerampere ont suivi des stages ou bien des cours du soir. Pour les autres, c’est plutôt un apprentissage sur le tas, sur les conseils des premiers, tout à fait disposés à partager leurs savoirs. Il n’y a pas pour le moment d’ateliers d’apprentissage de proposés au jardin, mais un néophyte peut tout à fait demander l’aide de quelqu’un qui s’y connaît davantage, notamment lors des mercredis après-midi et des samedis matin où les jardiniers viennent travailler ensemble.

Le jardin de Kerampéré est un jeune jardin partagé, encore en construction, les discussions actuelles évoquent encore ce qu’on va cultiver sur les parcelles dans l’idée de mettre en place une rotation des cultures par la suite. L’association ne possède pas encore sa propre réserve de semis, les plants sont pour la plupart donnés par des adhérents ou récupérés en cadeau pour le jardin. En ce qui concerne les outils, l’association possédant encore peu de moyens, il n’est pas vraiment possible d’acheter des outils en commun. Une première étape serait de réussir à en récupérer gratuitement, mais pour l’instant chacun amène des outils lorsqu’il ou elle vient jardiner et les partage avec les autres sur place. Depuis l’été 2018, l’association a lancé un financement participatif afin de pouvoir construire un cabanon. Plusieurs chantiers ont été nécessaires avant de voir le cabanon terminé, ici également, les matériaux ont été en partie achetés, grâce au financement participatif et en partie récupérés via une recyclerie.

Cette description du fonctionnement du jardin d’après mes observations permet de faire ressortir quelques propositions de réponse à ma question de départ dans le but d’établir des pistes de recherche pour ma problématique en les recoupant avec des lectures sur le sujet.
En effet, j’ai pu de là laisser émerger plusieurs hypothèses, à savoir que :

Le jardin revêt une très forte dimension sociale, il crée un lieu de rencontre et d’échange autour d’une thématique agricole. Celui-ci permet par exemple à des retraités ou encore à des migrants de tisser du lien social, tout en prenant part à une dynamique de quartier. 
C’est également un  lieu d’éducation : à la terre, à sa culture, à la biodiversité…  Loin d’être réservé  aux plus jeunes, venir au jardin partagé est également possible à quiconque souhaite apprendre à jardiner (notamment si le jardinage se fait en commun ou via l’intervention de parrains ou marraines pour les jardiniers néophytes qui démarrent sur une parcelle. C’est enfin un lieu d’expérimentation : expérimentation démocratique⁴ (travail en commun, partage des récoltes, citadins qui deviennent un nouveau type de “producteurs agricoles”, retour à la terre, tentative de proposition de réponses face aux problèmes climatiques…)

Celles-ci ont par la suite appuyé ma construction de grilles d’entretiens. J’envisage donc aujourd’hui, tout en continuant à aller jardiner avec les membres du jardin, d’interroger certains d’eux quant à leurs pratiques du jardinage, ce qu’ils viennent faire au jardin, mais également de les questionner sur ce que l’engagement dans un jardin partagé représente pour eux, et notamment s’ils y voient un lien avec d’autres engagements citoyens ainsi qu’avec leur alimentation.

1. DEN HARTIGH Cyrielle, Jardins collectifs urbains, Parcours des innovations potagères et sociales, educagri éditions, Dijion, 2012, p.11-12. [↩]
2. DEN HARTIGH Cyrielle, Jardins collectifs urbains, Parcours des innovations potagères et sociales, educagri éditions, Dijion, 2012, p.107. [↩]
3. PÉPIN Denis, Guide pratique « mon jardin malin », Symeed 29, Quimper, mars 2017, 4ème édition. [↩]
4. ZASK Joëlle, La démocratie aux champs, du jardin d’Eden aux jardins partagés, comment l’agriculture cultive les valeurs démocratiques, Paris, La Découverte, 2016 [↩]

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