Les nouvelles passions du XVIIIe siècle et leurs influences sur le mobilier

Le confort, la bienséance, la commodité vont devenir au XVIIIe siècle, les symboles d’un art d’habiter « à la française » où tout est convenance, intimité et politesse. C’est cette recherche de confort qui bouleverse l’étiquette et la manière de vivre et, va mener à la création d’un nouveau type de mobilier. Les demeures royales ou privées vont en être le réceptacle privilégié.

Cette œuvre de Nicolas Lavreince, s’intitulant « L’assemblée au salon », gravée par François Deguevauviller, datant de 1784, montre bien les nouvelles passions du siècle. Nous pouvons ainsi voir ci-dessus que le mobilier est constitué de fauteuils, de paravents, de consoles et autres tables légères, le tout placé dans un décor néoclassique, fait de médaillons et bas-reliefs. Cette œuvre atteste bien de ces nouvelles activités de l’aristocratie du XVIIIe siècle, pratiquées, ici, en même temps et dans une même pièce. Nous pouvons y voir des personnes jouer, d’autres discuter, ou encore une femme en train de broder et une autre en pleine lecture[1].

Le jeu : une passion européenne

La passion du jeu est un phénomène que l’on retrouve au cœur de toute l’Europe du XVIIIe siècle mais, en particulier, en France. Le jeu était alors une activité quotidienne de la société bourgeoise et aristocrate. Les peintures de l’époque vont se faire l’écho de ce nouveau passe-temps. Au cours du siècle, différents types de jeux vont faire leur apparition, dont notamment le quadrige ou le brelan. La pratique de ces jeux va avoir une incidence sur la distribution intérieure. En effet, les salons de jeu vont se multiplier avec des pièces qui sont spécialisées dans certains types de jeux, notamment le billard qui pouvait se dérouler à demeure chez les aristocrates les plus fortunés, ou chez le roi. Mais, il apparait également à la même époque des salles publiques afin de participer aux jeux[2].

Si malheureusement dans les inventaires, les greffiers ne donnent pas de précision sur la fonction de ces tables de jeux (trictrac, brelan), nous pouvons néanmoins noter leur grande présence dans les intérieurs des personnes les plus aisées. Ces tables de jeu peuvent recevoir un décor particulièrement recherché de la part des ébénistes. Ces tables sont généralement équipées d’ingénieux mécanismes, permettant de jouer à plusieurs jeux sur une même table. Il faut néanmoins prendre en compte le fait qu’au XVIIIe siècle, les tables sont dans leur grande majorité des tables volantes. Ces tables étaient donc placées là pendant le prisage de l’inventaire mais elles pouvaient très bien être déplacées.

Ces passions du jeu entraîne le développement de deux types de sièges dont les voyeuses qui sont à usage des femmes qui pouvaient dès lors voir les parties de jeu, en s’agenouillant sur l’assise du siège. Également, les ébénistes vont faire preuve d’ingéniosité, en créant les ponteuses, aux assises sont plus hautes. Si les voyeuses sont des sièges typiquement masculins, les ponteuses, elles, sont des fauteuils faits pour les hommes, qui pouvaient dès lors s’asseoir à califourchon pour avoir une meilleur vue du jeu en cours. Le terme “ponter” signifiant “miser en cours de jeu”. Nous pouvons aussi noter que certaines de ces ponteuses possédaient une partie amovible où l’on pouvait y placer les jetons[3].

Si les fonctions de ces tables de jeux ne sont pas décrites, il y a néanmoins des mentions de leur décor. On sait grâce aux inventaires que la plupart des tables de jeu sont généralement couvertes « d’étoffe verte » ou d’un « tapis vert », ce qui est la garniture la plus commune à cette époque. Enfin, ces différents jeux supposent la présence d’accessoires, comme des dés, jetons et autres balles et boules[4].

---

De plus, le jeu se déroule beaucoup, au XVIIIe siècle, dans les jardins. On peut facilement y dresser ces tables de jeu. De plus de nombreux jeux sont dédiés au monde des jardins comme le jeu du colin-maillard, ou celui du foulard ou de l’oie, qui se jouaient dans les bosquets. Ce sont là, la pratique des plus grands, venue de la cour. En effet, à Chantilly, il y avait un jeu de l’oie grande nature construit en 1737.

L’art de la conversation

L’art de recevoir et de converser sont centraux pour comprendre le XVIIIe siècle. Même s’il ne faut néanmoins pas oublier que l’art de la conversation n’est pas spécifique au XVIIIe siècle. Ainsi, les salons littéraires existaient déjà au XVIIe siècle mais ces derniers vont devenir mondains au cours du siècle suivant. On tenait particulièrement « salon » à Paris et à Versailles et dans les grandes cours européennes. Les femmes étaient pionnières en la matière avec notamment le Salon de la duchesse Du Maine dans sa demeure de Seaux, ou encore le Salon de Madame Geoffrin qui était aussi un salon profondément intellectuel où se réunissaient de grands philosophes ainsi que des artistes dont Boucher, Pigalle, Bouchardon ou encore Van Loo[5].

Ce Salon se déroulait dans son hôtel de la rue Saint-Honoré tous les lundis. C’est en partie là que s’est joué ce goût pour le rocaille symétrisé classicisant ou le classicisme outrancier, ou encore le style à la grecque et donc le néoclassicisme. Ces salons ont donc joués un rôle primordial dans le développement d’un vocabulaire ornemental qui va se retrouver sur le mobilier de l’époque. Nous pouvons aussi faire mention du Salon de Madame Lambert où l’on côtoyait la tragédienne Adrienne Lecouvreur et l’écrivain Fontenelle.

Ce goût pour la lecture explique le développement de l’art du siège. Les règnes de Louis XV et de Louis XVI vont marquer le triomphe du fauteuil. Les ébénistes vont offrir une grande diversité de choix pour ces nouveaux sièges. Le fauteuil va offrir une assise plus large notamment en raison des robes des femmes qui deviennent plus volumineuses au cours du siècle. De plus, la console d’accotoir est reculée par rapport à l’aplomb du pied, et ce, associé à l’ouverture des assise, la rend plus confortable. Les dossiers vont avoir tendance à s’abaisser pour permettre aux perruques de ne pas être abîmées et pour éviter de répandre les poudres sur les garnitures des sièges[6]. Auparavant, les sièges étaient destinés à être le long des murs mais au cours du XVIIIe siècle, ils vont cesser d’être meublant pour devenir désormais volant. De plus, ces différents fauteuils et sièges facilitent la lecture individuelle. Leur garniture de riches étoffes et leurs coussins permettent un confort maximal[7].

Ils apparaissent néanmoins dans les différents inventaires des années 1780 sous de nouvelles formes, avec des mentions de « bergère » au dossier droit ou encore de « duchesse » brisée ou non, qui sont des sièges permettant l’alanguissement des corps et la lecture individuelle[8].

Cette recherche à la fois d’intime et de confort se remarque par l’apparition dans les intérieurs des canapés et sofas. Selon le Dictionnaire de Trévoux, le sofa est « une espèce de lit de repos à trois dossiers dont on se sert depuis peu en France »[9]. Ces sièges se prêtent parfaitement au repos, à la lecture comme aux conversations. Le sofa est l’exemple de la volonté au XVIIIe siècle de revêtir les meubles de riches étoffes et ce de façon unie. Ces ensembles onéreux rappellent également la nouvelle importance accordée à la chambre de compagnie, ou salle d’assemblée, qui est désormais la pièce la plus luxueuse des grandes demeures. Les élites du XVIIIe siècle se passionnent pour l’Orient, ce qui va se retrouver dans le mobilier. Les ottomanes, les gondoles ou les sofas ont des noms qui évoquent ce monde oriental rêvé. La gondole est typique du style Louis XV où la courbe et la contrecourbe étaient mises en avant. Son nom vient de son dossier en forme d’ellipse. Ces lignes courbes sont le symbole de cette recherche de volupté et de sensualité apparaissant au cours du siècle[10].

 

Le goût raffiné de l’écriture

On écrit énormément de lettres au XVIIIe siècle, ce qui entraine une multiplication des meubles liés à l’écriture, dont les bureaux accompagnés de leur fauteuil. Ce triomphe du bureau va prendre plusieurs formes. Notamment avec la création du bureau plat qui va se déployer au XVIIIe siècle et qui va être réalisé par de grands ébénistes comme André-Charles Boulle qui en est probablement l’inventeur, ou encore, Charles Cressent.

Il se développe au cours du siècle le secrétaire en pente qui est féminin par excellence. Il est porté à sa perfection par l’ébéniste Bernard Van Risen Burgh dans les années 1730. Le secrétaire permettant d’écrire mais aussi de garder à l’abri des regards certains papiers ou missives. Ce dernier peut prendre plusieurs formes, en tombeau, en pente, en armoire[11]. Il apparait également la table à écrire, meuble caractéristique de cette nouvelle recherche du confort. Cette dernière montre l’inventivité toujours renouvelée des donneurs de modèles, que peuvent des ébénistes comme Jean-François Oeben (1721-1763) ou Adam Weisweiler (1746-1720).

L’importance de l’écriture que ce soit pour les correspondances intimes ou professionnelles est aussi remarquable par la présence d’accessoires, comme par exemple le serre-papier. Cette alliance pour la lecture et l’écriture étant l’une des composantes de la vie des nobles au XVIIIe siècle. Ces secrétaires peuvent prendre des formes très raffinées, et  s’adaptent aux murs et peuvent être meublants. Les bureaux et secrétaires du XVIIIe siècle pouvaient accumuler les matières précieuses et onéreuses, mélangeant des essences de bois raffinés comme le sycomore ou le bois de rose, avec généralement un travail de marqueterie, ou être recouvert d’une table de marbre.

Conclusion

Le XVIIIe siècle a été le moment des grandes créations des ébénistes, avec l’apparition de nouveaux petits meubles raffinés. Ce bouleversement créatif est intrinsèquement lié aux nouvelles habitudes de vie des nobles de l’Ancien Régime. Le « bonheur-du-jour » en est un parfait exemple, il est créé vers 1760 et qui sert de petit secrétaire aux dames. Il est généralement composé d’une petite table rectangulaire avec un corps supérieur où on dépose des papiers ou bibelots.

Selon le Dictionnaire de Justin Storck[12], « ce meuble est toujours exécuté de très coquette façon ; il se fait en général avec des bois exotiques décorés de marqueterie, de bronze ou d’incrustations ».

---

[1] ELEB Monique avec DEBARRE Anne, Architectures de la vie privée XVIIe-XIX siècles, Hazam, 1989.

[2] BELMAS Elisabeth, Jouer autrefois, essais sur le jeu dans la France moderne (XVIe-XVIIIe siècle), Champ Vallon, 2006.

[3] Ibidem.

[4] PARDAILHE-GALABRUN Annik, La naissance de l’intime : 300 foyers parisiens XVIIe-XVIIIe siècles, PUF, Histoire, 1988.

[5] LILTI Antoine, Le Monde des salons — Sociabilité et mondanité à Paris au XVIII^e siècle, Paris, Fayard, 2005.

[6] CHADENET Sylvie et ESPERANCE Maurice, Tous les styles : Du Louis XIII à l’Art déco, Elina Sofédis, 1981.

[7] GARNOT Benoit, La culture matérielle en France aux XVIe-XVIIe-XVIIIe siècles, Ophrys, DL 1995.

[8] Ibidem.

[9] Dictionnaire de Trévoux, imprimé chez Pierre Antoine, 1740, Nancy.

[10] PARDAILHE-GALABRUN Annik, La naissance de l’intime : 300 foyers parisiens XVIIe-XVIIIe siècles, PUF, Histoire, 1988.

[11] PARDAILHE-GALABRUN Annik, La naissance de l’intime : 300 foyers parisiens XVIIe-XVIIIe siècles, PUF, Histoire, 1988.

[12] STORCK Justin, Dictionnaire pratique de Menuiserie – Ebénisterie – Charpente, Editions VIAL, Edition 1900.

---

---