L’éducation des femmes dans le Trégor littoral (Penvénan, Plouguiel et Trévoù-Treguinec), dans les années 1930-1960

La façon dont on éduque les enfants évolue avec le temps et diffère selon les milieux et les genres. Nous vous présentons ici ce que nous avons pu apprendre sur les modèles parentaux qu’eurent quatre femmes, ainsi que les méthodes pédagogiques d’une école.

L’éducation d’un individu est primordiale car elle a une grande influence sur son devenir, les choix qu’il fera une fois adulte. Étudier la manière dont fut élevée une personne revient à rechercher qui lui inculqua les codes sociaux et ces connaissances, mais également selon quels principes, par quels moyens, et dans quel contexte. La famille, ou le premier cercle de sociabilisation, est le premier lieu où un individu est formé. La ou les personnes qui l’élèvent lui transmettent le langage, mais aussi les us et coutumes de la communauté où il est né. L’instruction est ensuite donnée, le plus souvent, par l’école. Elle consiste à lui inculquer des connaissances, des savoirs-faire et des savoirs-être que l’instance en charge de l’instruction des enfants estime qu’il a besoin afin de s’intégrer une fois adulte dans la société.

Les femmes, et ce depuis de nombreuses générations, reçurent une éducation différente de celle des hommes en raison des rôles que lui attribuait la société occidentale. Comme nous l’apprennent François et Claude Lelièvre¹, l’instruction des filles fut pendant des siècles à la charge exclusive des religieuses, mais le gouvernement français ne commença à s’y intéresser qu’à partir de 1850 avec la loi Falloux qui obligeait chaque commune de plus de huit mille habitants à ouvrir une école primaire féminine. Puis, après la loi Ferry de 1882 rendant obligatoire l’instruction et l’école primaire publique laïque et gratuite, l’idée qu’il faut éduquer les filles commença vraiment à occuper l’esprit de la classe dirigeante. En effet, les femmes avaient en charge l’éducation des futurs citoyens, il fallait donc qu’elles reçoivent une instruction qui les prépareraient à ce rôle essentiel à la République. Pendant l’entre deux Guerres, l’accent fut mis sur les cours ménagers, et notamment sur la puériculture, afin de faire repartir à la hausse la natalité mise à mal par la Grande Guerre. Les fillettes étaient formées à être des ménagères, des épouses et des mères, mais à aucun métier :

« Au tournant des 19^e et 20^e siècles, c’est-à-dire à la période de l’éducation socio-politique d’État identifiée par C. et F. Lelièvre (1991), l’école contribue alors à une répartition des rôles sociaux des hommes de l’extérieur et des femmes d’intérieur, à la fois épouse, mère, éducatrice, auxiliaire du médecin… maîtresse de maison et ouvrière, employée ou fermière.² »

Ainsi, puisque l’instruction avait une telle influence sur les fillettes, il est important de s’y intéresser de près afin de déterminer ce qui leur était inculquer exactement. Mais il y a une autre chose dont il faut prendre compte lorsque nous étudions l’éducation, c’est l’époque. En effet, les années succédant à la Seconde Guerre Mondiale virent arriver de nombreux changements, comme peut en témoigner Hervé Puill :

« L’après-guerre a ouvert une période tout à fait différente où l’ancien monde que nous avions connu s’écroulait : l’électricité se développait à travers les campagnes, il y avait de plus en plus de tracteurs et les voitures, elles-mêmes, devenaient de plus en plus nombreuses, on commençait à s’intéresser vraiment aux engrais chimiques qui, jusque là, avaient été utilisés avec parcimonie.³ »

Outre les changements agricoles, il y eu d’autres bouleversements, comme l’évolution de la religion catholique avec le Concile de Vatican II de 1962 à 1965, la baisse de la fréquentation des églises, mais aussi l’évolution de la pratique politique, avec le droit de vote des femmes, et une évolution de la vision de la société sur le rôle des femmes avec l’élargissement de leurs droits. Cette époque se révéla très différente de celle que connut la génération précédente, dont faisaient partie les parents des enfants nés peu avant les années 1950. Mais ces bouleversements ne furent pas nécessairement vécus de la même façon partout en France. En ce qui concerne les Côtes-d’Armor, ou anciennement les Côtes-du-Nord, Christian Bougeard explique que ce département rural, qui était partagé entre les bourgs, où se concentraient commerces, églises et écoles, et les fermes disséminées toute autour, changea beaucoup :

« Située au cœur de la région française dont l’agriculture s’est le plus transformée depuis quarante ans, les Côtes-d’Armor ont participé au mouvement au point que les anciens ne reconnaissent plus leur pays.⁴»

Au fil de nos recherches, nous pûmes constater que, s’il avait bien des études sur les femmes et leur éducation au XX^ème siècle, comme celles d’Anne Guillou, elles concernaient le Finistère et non les Côtes-d’Armor. Il semblerait donc qu’il y ait un vide à combler en ce qui concerne ce département. Nous choisîmes donc de concentrer nos recherches concernant l’éducation des femmes sur trois communes des Côtes-d’Armor : Penvénan, Plouguiel et Trévou-Tréguinec.

Ces communes sont situées entre Lannion et Tréguier, dans une région rurale qui, dans les années 1950, étaient habitée essentiellement par des agriculteurs, des marins et des commerçants.

Afin de mener à bien nos recherches, nous choisîmes de nous appuyer, d’une part, sur les témoignages de femmes nées avant 1950, et d’autre part, de compléter ces témoignages par des documents d’archives issues d’écoles.

Nos recherches portent donc sur l’éducation qui fut donnée à nos quatre informatrices, toutes nées à Penvénan ou à proximité, et toutes avant 1945. Comme nous le vîmes plus tôt, l’éducation est donnée par la famille et par l’école, cependant, il y a un autre aspect de l’éducation que nous n’évoquâmes pas, c’est celui de l’éducation religieuse. En effet, si, à ce stade, nous ignorons quel fut l’importance de la religion dans la vie de nos quatre dames, nous savons en revanche que le catholicisme était très ancré dans la société française de la première moitié du XX^ème siècle, par conséquent, ce fait pût avoir une influence dans l’éducation de ces dames et, à notre sens, ne doit pas être négligé. Nous étudierons tour à tour trois sphères éducatives, liées à des « institutions » différentes et donc à des pratiques et valeurs dont nous chercherons à savoir si elles sont différentes ou concordantes, voire interagissantes : premièrement, la famille et la sociabilité primaire ; deuxièmement, l’école et l’instruction ; troisièmement l’Église et l’éducation religieuse.

 

Nous avons donc quatre femmes de familles différentes, de milieux sociaux, de lieu de résidence et d’histoire personnelle différents, mais avec cependant des points communs dans le rôle des parents au sein du ménage. La mère était en charge de l’entretien de la maison, de la bonne conduite des enfants et de la gestion financière du ménage. Au père revenait le travail rémunéré. Encore que dans les cas de Mme Y et de Mme Jo, leur mère avaient également un emploi. D’après ce que nous pouvons constater, le père n’avait pas une place très active au sein de la famille, au contraire de la mère qui, elle, avait une très grande place au point que son époux paraît effacé. A Mme Y et Mme Jo, leur mère donnèrent l’exemple d’une femme active, d’une mère sévère et très présente, ainsi que d’une administratrice du ménage. Cependant, pour Mme A et Mme J, l’exemple fut légèrement différent. En effet, si l’image de la mère et celle d’administratrice était la même chez Mme A que pour Mme Y et Mme Jo, il n’en va pas de même pour celle de l’épouse qui, dans son cas, sacrifia son emploi afin de suivre son époux dans ses choix de vie. Quand à Mme J, elle se distingue par une mère qui avait en partie délégué son rôle de mère, et qui, par conséquent, n’était pas très présente. En ce qui concerne l’image du père, toutes nos dames connurent un père travailleur et qui ne s’impliquait pas dans les affaires quotidiennes du ménage. Le seule domaine que semblait partager les parents est celui du choix du futur gendre. D’une manière générale, il semble que le père était davantage un chef de famille, représentant de la famille à l’extérieur du cercle familial : grandes décisions concernant la vie sociale des enfants, grandes décisions financières, décision concernant le mariage, engagement dans les conseils municipaux. La répartition des rôles entre la sphère privée et quotidienne, d’une part, et la sphère semi-publique et ponctuelle, d’autre part, soit assez nette.

 

Nous pûmes consulter et étudier les archives de l’école du Sacré-Cœur de Penvénan. École où furent scolarisées Mme A et Mme Jo.Cette école était féminine et tenue par des religieuses. Elles y enseignaient les matières générales classiques et la question de la religion était abordée pendant le catéchisme seulement. D’après les manuels et les souvenirs des informatrices, les leçons en classe de primaire et maternelle n’étaient pas particulièrement genrées. Cependant, nous ne savons pas quel discours avaient les enseignantes :

« Si les manuels en tant que prescriptions secondaires fixent par les textes et les images les normes de genre, la transmission de ces rôles est sans doute assurée plus fondamentalement par les institutrices et instituteurs qui représentent ces missions et ces valeurs grâce à leur accompagnement verbal, leur exemplarité et leurs façons d’être.⁵»

Il est donc tout-à-fait possible que les enseignantes avaient un discours encourageant les fillettes à devenir des épouses et des mères modèles, mais nous ne pouvons l’affirmer faute d’éléments. Quant aux cours ménagers, l’enseignement religieux ne faisait pas partie du programme, en revanche, les cours étaient clairement genrées car réservés exclusivement aux jeunes filles et formant à des domaines identifiés par la société de l’époque comme relevant du ministère de la femme.

Notre interrogation principale est de savoir en quoi consistait l’éducation des ces dames. Les élément que nous recueillîmes nous montrent que l’école primaire formaient les fillettes à écrire, lire, compter, en résumé, à inculquer un minimum de connaissances utiles au quotidien. Il nous apparaît que le rôle de cette école n’était pas de former de futurs épouses ou mères, mais de leur donner un minimum d’outils afin de commencer à s’intégrer à la communauté qui les entoure.

Les cours ménagers, eux, avaient un autre but. L’objectif était clairement de former les jeunes filles à être des épouses, des mères, par l’enseignement des tâches ménagères et de la puériculture. Mais également des femmes du monde rural, voire agricole par la formation à l’élevage. Les élèves étaient formées en vue de devenir des épouses et des mères, sans profession, vivant aux côtés d’un agriculteur.

 

Youna Minous.

1. Lelièvre François et Claude, « Histoire de la scolarisation des filles », Paris, Nathan, 1991 [↩]
2. Lebeaume Joël, « Les sciences appliquées des classes de fin d’études, en rose et bleu. Images, vignettes, illustrations… des manuels scolaires des années 1950. » Revue GEF, 2017, 49-62. [↩]
3. Puill Bernard, « Soazig et Hervé paysans bretons », Brest, Editions Le Télégramme, 2003, p. 59. [↩]
4. Bougeard Christian (dir), « Côtes d’Armor », Paris, Editions Bonneton, 1992, p. 392. [↩]
5. Lebeaume, J. « Les sciences appliquées des classes de fin d’études, en rose et bleu. Images, vignettes, illustrations… des manuels scolaires des années 1950. » Revue GEF (1), 2017, p.49-62. [↩]

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