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La consommation des déchets marins

Dans cet article, nous nous intéresserons à deux formes particulières de consommation des déchets marins : la richesse qu’il peut procurer et les usages artistiques. Il s’agit d’un extrait de mon mémoire écrit pendant ma première année de master dont le sujet était la perception et les pratiques autour des déchets marins à Brest (France) et à Tromsø (Norvège) à notre époque.




Les déchets marins, une richesse de la mer

Parmi les représentations des déchets marins, nous pouvons remarquer que certains d’entre eux sont considérés comme des richesses. Celles-ci font référence à des déchets marins possédant une valeur historique, monétaire ou sentimentale.

Comme mentionné précédemment, ces déchets marins possèdent un statut différent de celui des déchets ordinaires. Lorsqu’ils sont liés à un moment significatif pour une société, ils sont considérés comme précieux. Dans de nombreux cas, ces derniers sont aussi convoités tant par leur valeur économique qu’historique. Pendant des siècles d’Histoire humaine, des bateaux ont navigué sur les mers et certains d’entre eux ont malheureusement coulé. Des gens sont dépêchés pour protéger les sites dans lesquels les vestiges ont été trouvés. Les objets présents dans ces épaves peuvent être considérés comme de véritables trésors aujourd’hui et certains d’entre eux, les plus convoités, l’étaient déjà auparavant1. Pour ces derniers, il s’agit par exemple de pièces, de bijoux et de pierres précieuses.

Contrairement à la richesse que peuvent représenter les déchets marins historiques, les déchets marins peuvent être porteurs d’intérêts collectifs, de loisirs. Cette perception amène à l’apparition de pratiques comme la prospection ou détection de métaux sur les plages. Celles-ci ont pour but de trouver des objets quelle que soit leur valeur. Dans un article du journal Ouest-France, le président de la Fédération française de détection de métaux, explique que la nature de l’objet trouvé n’a pas vraiment d’importance, c’est l’action de chercher les objets qui importe2. Cependant, la découverte d’objets de valeur, tels que des montres, des bijoux, des pièces de monnaies contemporaines ou anciennes et d’autres trésors métalliques, apporte un nouvel intérêt propre à l’objet : la recherche de son propriétaire3.

Bien que les déchets marins puissent représenter des éléments du passé importants pour une société, certains d’entre eux peuvent également être perçus comme une richesse sentimentale pour les individus. En effet, ces déchets peuvent évoquer des souvenirs ou constituer eux-mêmes des représentations de moments significatifs du passé pour ces personnes. Cette valeur sentimentale correspond à une représentation subjective, propre à une personne, créant un attachement, une affection envers le déchet. Par exemple, dans un article de BBC News, un pêcheur a trouvé un des jouets de la marque Lego qui étaient dans le conteneur de la marque perdu en mer en 19974. Pour ce pêcheur, ce jouet est un trésor, sans pour autant l’associer à une valeur monétaire. Ce jouet possède, pour lui, une valeur sentimentale qui lui rappelle son enfance5. Ces jouets sont retrouvés de temps à autre sur des littoraux de la Manche. Ces jouets ont amené la création d’un projet collaboratif Lego Lost at Sea qui regroupe les informations sur ce conteneur et ces jouets perdus en mer6.

Le déchet marin considéré comme richesse élargit la perception des déchets marins. Les déchets marins ne sont pas seulement des détritus ou des matériaux à exploiter. Ils sont aussi des objets de valeur qui entraînent des intérêts historiques ou monétaires. Cependant, la vision du déchet marin comme un trésor n’est pas non plus exacte. Il faut y ajouter que la recherche du déchet apporte à la personne chercheuse. Le mystère de la localisation des déchets marins s’ajoute à la valeur du déchet pour l’intérêt qu’il va susciter. De plus, il ne faut pas exclure que les déchets marins trouvés peuvent avoir une valeur sentimentale pour les personnes les ayant découverts.


L’utilisation artistique des déchets marins

L’utilisation de déchets marins pour la création artistique montre une considération des déchets qui se rapporte au matériau plutôt qu’à sa nature de détritus. En effet, il existe des mouvements artistiques pour lesquels les déchets marins sont le matériau principal. Nous pouvons penser notamment à l’art du pinsé et à l’art des ghostnets. Selon un article des carnets collaboratif de Brest sur l’exposition Rebuts-Rébus (2016), le pinsé est un courant artistique breton pour lequel tout objet retrouvé sur l’estran peut servir à la création d’œuvres d’art. Le pinseyeur, l’artiste-ramasseur, peut utiliser du bois flotté, du verre, des filets et bien d’autres déchets et objets marins trouvés sur l’estran pour réaliser ses œuvres. D’après Géraldine Le Roux dans L’art des ghostnets, cet art provenant d’Australie a pour matériau principal les filets de pêche fantômes, c’est-à-dire des filets ayant dérivé dans l’océan, et peut les associer à d’autres déchets marins7.

Les représentations transmises par les œuvres en déchets marins sont variées. En effet, des œuvres de pinsé peuvent véhiculer des représentations montrant un attachement au quotidien du littoral breton, la faune de ce littoral et même un intérêt pour des cultures étrangères. Ces thèmes ont été abordés par des artistes de Brut de Pinsé. Pour les représentations du quotidien breton, nous pouvons prendre pour exemple les artistes Edmond Findannée et Fañch Savina, avec, par exemple, Gardien de phare et Motard faisant racler la béquille. Pour les représentations de la faune marine, nous pouvons citer une nouvelle fois Fañch Savina avec son œuvre Le poulpe de Saint Gué. Nous pouvons retrouver un certains intérêt pour les cultures étrangères dans des œuvre d’Evelyne Le Bras avec, par exemple, Masque africain.

Gardien de phare (n. d.) – Edmond Findannée,(source : Gabrielle Tignac)

Motard faisant racler la béquille (n. d.) – Fañch Savina, (source : Gabrielle Tignac)

Le poulpe de Saint Gué (n. d.) – Fañch Savina, (source : Gabrielle Tignac)

Masque africain (2023) – Evelyne Le Bras, (source : Gabrielle Tignac)

L’Indien (n. d.) – Martine Serrano, (source : Gabrielle Tignac)

Dans le nord de la Norvège, la création artistique avec des déchets marins semble faire partie du quotidien. Nous développerons cette idée pendant la deuxième année de master. Cependant, nous pouvons déjà observer quelques exemples que j’ai pu rencontrer pendant ma période d’observation là-bas durant cet été 2024. Dans les zones littorales de la Norvège, nous pouvons y voir différentes habitations et jardins exposant des créations réalisées à partir de déchets marins. Parmi elles, un portrait familial était exposé sur une façade. Les corps de ce portrait étaient faits de cordes et de flotteurs.

Façade d’une maison du nord de la Norvège en 2024, (source : Gabrielle Tignac)

 

A Hessfjord, non loin de Tromsø, il existe un jardin dans lequel sont installées des dizaines de sculptures faites à partir de flotteurs, de cordes et de bois. Ce jardin s’appelle « Objekt Park Hessfjord ». Il est entretenu par un artiste allemand, Klaus Neuhaus, avec des projets artistiques comme Element 4. Il a ramassé les déchets sur l’estran des îles aux alentours de Tromsø ou il les a récupérés directement auprès des pêcheurs8. Au travers de ses œuvres, K. Neuhaus a pour but de rendre hommage aux pêcheurs du nord de la Norvège et à leur dur labeur9. Il s’agit là d’une représentation artistique de la pêche réalisée à partir de déchets de cette même pêche.

Vue du Objekt Park Hessfjord, (source : Gabrielle Tignac)

 

D’autres représentations véhiculées par des œuvres en déchets marins peuvent aussi être porteuses d’une signification grave, dépendant de la nature de l’objet qu’était le déchet et du contexte auquel il est associé. Les représentations par des déchets marins peuvent avoir une portée politique et sociale, rapportant sur les crises de nos sociétés actuelles mondialisées. Par exemple, l’artiste chinois Ai Weiwei a réalisé plusieurs installations à partir de plusieurs milliers de gilets de sauvetage récupérés sur l’île de Lesbos en Grèce. Ces gilets ont appartenu à des migrants et ont été exposés dans des capitales et grandes villes telles que Berlin10, Vienne11 et Québec12. Il a créé ces œuvres pour dénoncer la violence et le carnage que subissent les migrants pendant leur traversée périlleuse de la Méditerranée, de l’Afrique vers l’Europe13.

 

Les œuvres faites de déchets marins peuvent être reconnues aux niveaux national et international. Dans L’art des ghostnets, Géraldine Le Roux décrit la chronologie de ce mouvement artistique. Dans cette chronologie, des évènements concernant la reconnaissance de cet art apparaissent. Par exemple, des œuvres de ghostnets ont été acquises en 2011 par l’Arts Bank et le British Museum. D’autres œuvres ont été exposées en 2016 à la Biennale de Sydney et au musée océanographique de Monaco et en 2017 à la conférence « Ocean » de l’ONU14. Ces différentes acquisitions et expositions montrent qu’il existe un intérêt aux niveaux national et international pour les œuvres en déchets marins. A Brest, cette reconnaissance pour les œuvres en déchets marins émerge. Nous pouvons noter que des expositions d’œuvres de pinsé de l’association Brut de Pinsé ont eu lieu dès 1999 dans la mairie de Plouarzel1516, en 2006 dans le centre d’art Le Fourneau à Brest17 et pendant les Fêtes maritimes internationales de Brest en 201218 et en 2016 à Océanopolis19. Cette année, en 2024, des œuvres de Brut de Pinsé sont une nouvelle fois exposées à la mairie de Plouarzel20.

 

Cette reconnaissance montre une certaine représentation des déchets. Cette représentation considère les déchets comme des objets précieux, car ceux-ci sont devenus des œuvres. D’un point de vue hiérarchique, ils sont maintenant au-dessus des objets, alors que leur statut de déchet les positionnait en-dessous des objets.

 

Conclusion

Les déchets marins possèdent donc un potentiel artistique, que ce soit par leur usage en tant que matériaux ou par les représentations permettent de véhiculer. Ce potentiel permet d’aborder des thèmes en dehors du contexte du déchets et de réviser les représentations des déchets marins. Ceux-ci ne sont pas de simples déchets, ils racontent une histoire, pouvant être quotidienne ou tragique, au travers des formes que les artistes leur ont donné.

 

  1. Lucas, N. (2023, juin 26). Épaves : À la recherche des trésors engloutis. National Geographic. https://www.nationalgeographic.fr/histoire/epaves-a-la-recherche-des-tresors-engloutis []
  2. Vergereau, A. (2023, août 16). Peut-on vraiment trouver des trésors sur la plage avec un détecteur de métaux ? Ouest-France. https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2023-08-16/peut-on-vraiment-trouver-des-tresors-sur-la-plage-avec-un-detecteur-de-metaux-8f6b71eb-6b6d-41f3-8cec-3e59a85cf305 []
  3. Vergereau, 2023 []
  4. Young, L. (2024, août 10). Fisherman lands first-ever « lost » Lego shark. BBC News. https://www.bbc.com/news/articles/cwy553j377do []
  5. ibidem []
  6. ibid. []
  7. Le Roux, G. (2022). L’art des ghostnets : Approche anthropologique et esthétique des filets-fantômes. Muséum national d’histoire naturelle. []
  8. Neuhaus, K. (s. d.). ELEMENT 4. https://www.klausneuhaus.com/element4/04p8imqbxsi4gggmrtf3kj4zfl2akg []
  9. ibidem []
  10. Safe Passage, (Lautréamont, 2016) []
  11. F Lotus, (Crise des migrants : l’artiste Ai Weiwei expose des gilets de sauvetage dans un jardin viennois, 2016) []
  12. Life Jackets, (Blindé, 2022) []
  13. Blindé, J. (2022, septembre 15). Ai Weiwei présente à Québec une installation composée de 2 000 gilets de sauvetage. BeauxArts. https://www.beauxarts.com/grand-format/ai-weiwei-presente-a-quebec-une-installation-composee-de-2-000-gilets-de-sauvetage/ []
  14. Le Roux, 2022 []
  15. Commune du nord Finistère []
  16. Ouest-France. (2024, août 16). Une exposition « Récup-Art » à la mairie de Plouarzel. Ouest-France. https://www.ouest-france.fr/bretagne/plouarzel-29810/une-exposition-recup-art-a-la-mairie-de-plouarzel-1ae6b106-4f25-11ef-a0c1-3a0d3e6c3ebb []
  17. Velly, M., & Dalard, B. (2009, avril). « Ô Fourneau, prends ton envol » Installations « Brut de pinsé » de l’artiste-sculpteur-récupérateur Jean-Jacques Petton. Le Fourneau. https://archives.lefourneau.com/brest/09/jjpetton.htm []
  18. Association Brut de Pinsé. (2016, décembre 2). wiki-brest. http://www.wiki-brest.net/index.php/Association_Brut_de_Pins%C3%A9 []
  19. Rebuts—Rébus : Exposition de Brut de Pinsé à Océanopolis. (2017, novembre 26). wiki-brest. http://www.wiki-brest.net/index.php/Rebuts_-_R%C3%A9bus_:_Exposition_de_Brut_de_Pins%C3%A9_%C3%A0_Oc%C3%A9anopolis []
  20. Ouest-France. (2024, août 16). Une exposition « Récup-Art » à la mairie de Plouarzel. Ouest-France. https://www.ouest-france.fr/bretagne/plouarzel-29810/une-exposition-recup-art-a-la-mairie-de-plouarzel-1ae6b106-4f25-11ef-a0c1-3a0d3e6c3ebb []

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Gabrielle Tignac (9 décembre 2024). La consommation des déchets marins. Master civilisations, cultures et sociétés. Consulté le 17 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12vj7


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