Vannes au temps de la maladie (1625-1629)
Durant le XVe, XVIe, et XVIIe siècles, l’Europe est touchée par nombreuses vagues épidémiques plus ou moins violentes dont l’année 1630 peut être qualifié comme la dernière vague épidémique à l’échelle nationale[1]. Etant donné que la peste, par la suite va toucher de façon épisodique certaines localités en France. La ville de Vannes ne fait pas exception à la règle, tout comme les autres villes bretonnes. Elle est touchée depuis le siècle XVe siècle par de nombreuses maladies telle que la peste créant une épidémie au sein de la ville close et de ses faubourgs.
La menace d’un épisode épidémique
Le corps de ville a une autre tâche qui est la gestion de la santé dans la ville et les faubourgs. La santé est un enjeu essentiel pour une ville afin d’attirer de nouveaux habitants mais aussi pour permettre d’avoir un dynamisme économique fort. Les municipalités minimisent les premières manifestations de la maladie par crainte de conséquence sur l’économie[2]. De ce fait, le corps de ville doit gérer le nombre de médecin présent au sein des murailles de Vannes et de ses faubourgs.
A travers les registres de délibération nous pouvons apercevoir que l’assemblée est consciente que la ville et ses faubourgs de Vannes rencontre des difficultés vis-à-vis d’un manque de médecin pour le nombre d’habitants présents au sein de Vannes : « Sur ce qu’il a esté emputé à l’assemblée que ceste ville a grand besoign de médecins esperimenté en cas aiant recey plusieurs incommoditez et incompétantz faulte d’iceulx »[3].
Par conséquence, la ville est à la recherche de nouveaux médecins dans d’autres villes de la province. Ils vont envoyer un message à un docteur habitant la ville de Rennes et un autre à Saint Brieuc pour qu’ils puissent venir pratiquer la médecine à Vannes. En acceptant cette demande, la communauté lui propose plusieurs avantages. Tout cela est marqué dans plusieurs des délibérations de la ville :« Sur ce qu’a esté remonstré par le procureur sindic que cy devant, il auroit esté chargé par la communaulté de Vennes, Sieur Suero, docteur en médecine demeurant à St Brieux de venir habiter en ceste ville pour y exercer la médecine soubz promesse de faire que luy […] la communaulté de six cens livre de gage par an […] ».
Dans ces délibérations, la communauté essaye de faire venir des médecins en jouant sur la carte du salaire plus avantageux, si celui-ci vient pratiquer la médecine dans la ville. Mais aussi sur le côté fiscal dont il sera exonéré pour son installation au sein des murailles ou des faubourgs :« L’assemblée ayant délibérer a chargé ledict sindic de convaincre le dict sieur Suero et ledict sieur [Sacher] de venir habiter en ceste ville pour y exercer la médecine soubz promesse que luy fait la dicte communaulté de luy payer annuellement six centz livre de gage […] »[4]
Le corps de ville a la volonté de rendre accessible les soins aux habitants, surtout lorsqu’un épisode épidémique refait surface au sein de la ville. La municipalité va payer le salaire des médecins. Ces messieurs, par ce geste de la municipalité, peuvent pratiquer gratuitement la médecine comme l’indique la suite de la délibération[5].
Par ailleurs, avec cette volonté qu’a l’assemblée pour la recherche de médecins permettant de soigner toute la population, afin de parer à un éventuel épisode épidémique. Il existe toujours dans les villes en Europe, une certaine peur vis-à-vis des maladies. A noter qu’au moment où l’assemblée est à la recherche de médecin pour sa ville, la Bretagne comme les autres provinces sont touchées par la peste de 1628 à 1631. la carte de Jean-Noël Biraben illustre, cet épisode épidémique au sein du royaume de France. Cet vague va causer la mort d’environ un million de Français[6].
Cette carte fait remarquer que la Bretagne est touchée lors de cette vague épidémique de toute part, exceptée dans le sud. Cette recherche de médecin par le corps de ville peut-être due à la crainte de l’arrivée d’épidémie aux portes de la ville. La communauté veut donc s’y préparer. D’autant que cinq ans après (1636-1637), une vague beaucoup plus faible au niveau de la province ne va toucher seulement Nantes, Rennes et leurs alentours.
Une volonté de minimiser la propagation
Cette peur des épidémies notamment de pestes est présente depuis plusieurs années. En particulier avec la peste noire qui ravagea l’Europe au XIVe siècle. On remarque dès 1625, une poussée de la peste sur le continent européens[7]. Cette peur de la poussée de la maladie dans la ville peut-être illustrer dans les délibérations de Vannes, par plusieurs délibérations qui sont espacées dans les années 1625 et 1626. Elles mentionnent le payement de personnages qui ont comme fonction celui de « chasse gueux ». Leurs tâches sont reconduites dans le temps car il y a la présence de nombreux étrangers restant divaguer dans la ville close et ses faubourgs pouvant transmettre une maladie. « Jan et Jacques les Pezdronno, porte cassaques, et chasses-gueux de ceste ville, sont continué pour un mois et leur seront payés gages à la mesme raison qu’ils ont este au passé, mesme de service qu’ils ont fait depuis Pasques, jusqu’à présent. »[8]ou encore la mention des chasses-gueux dans une délibération du dernier vendredi du mois de juillet 1626[9].
La chasse aux pauvres, aux oisifs et aux vagabonds fut d’abord lancée au XVIIe siècle en Europe, On trouve d’abord cette fonction en Angleterre avec la création des Poor Laws sous Elisabeth Ier, c’est-à-dire que la charité devient un devoir légal. En contrepartie toute personne pratiquant la charité doit faire un travail forcé, sinon il sera condamné à un châtiment[10].
Quant à la France, la chasse aux pauvres ne commence vraiment qu’à partir de la moitié du XVIIe siècle, avec la création d’Hôpital général pour enfermer et nourrir les pauvres[11]. Même si il y a quelques cas avant comme ici pour la ville de Vannes. Cela va régler par la même occasion le problème de pauvreté avec l’enfermement massif des pauvres. Afin de permettre de les capturer la couronne décide d’interdire de mendier, sous peine d’avoir un séjour dans les galères pour les hommes ou le bannissement pour les femmes ou des coups de fouets. Les « chasses gueux » ou encore les « chasse coquins » ont pour mission d’enfermer les mendiants. Ces agents qui sont désignés pour poursuivre cette fonction sont principalement des archers sillonnant les rues à la recherche de personnes demandant l’aumône[12].
A travers l’afflux grandissant d’étrangers et de mendiant dans les villes apparaît la crainte d’un nouvel épisode épidémique de peste ou d’une autre catastrophe sanitaire, comme par exemple dans la ville de Nevers en 1572[13]. La ville fait face à un grand afflux de miséreux. La municipalité va décider de placer aux portes des gardes qui ont comme objectif d’empêcher l’entrées aux pauvres, aux mendiants, ainsi qu’aux vagabonds. L’interdiction d’entrée se fait par le jugement des archers avec le faciès, la physionomie ou l’accoutrement. Cependant la ville n’enferme pas les pauvres, elle les exclue seulement des personnes dites « normal ».
Les chasses-gueux, opèrent surtout dans la cité, en patrouillant, en repérant et en arrêtant. On va voir l’apparition de chasse-pauvres au sein de l’Eglise. On nomme cet agent le « chasse gueux à la cathédrale », il a pour objectif de disperser les mendiants qui viennent se regrouper les jours de messe pour essayer de repartir avec quelques sous en poche.
En Suisse, pendant longtemps, on peut retrouver des « chasse-pauvres » que l’on peut distinguer par leurs armes qui sont des rapières longues et ils sont coiffés d’un énorme chapeau à trois cornes avec une grande cocarde. A la différence des « chasse-pauvres » en France, leur tâche est de surveiller la mendicité sur les routes du canton de Berne et ne sont donc pas dans les villes[14].
Par la suite, la politique sur l’enfermement afin de contrer la mendicité au sein du royaume va créer certaines oppositions de la population. Cette opposition est surtout faite par les personnes ayant encore la vision traditionnelle venant de l’époque médiévale donnant aux mendiants et aux pauvres, une certaine image religieuse[15]. Le mendiant étant perçu comme un homme de dieu ayant totalement dévoué sa personne et sa vie.
Des personnes vont empêcher l’emprisonnement de ces mendiants en les cachant chez elle[16]. Lorsque le chemin est plus sûr pour leur sécurité, ils les laissent partir. De plus, malgré les arrêtés royaux, le peuple désobéis encore aux lois en continuant à donner l’aumône à ses pauvres et à les protéger. Il y a l’apparition de scène où la population voyant un chasse-gueux s’emparer d’un misérable, décident de poursuivre et de le flageller, allant parfois jusqu’à l’émeute populaire. L’un des exemples les plus flagrants est en 1659. Le lendemain de la création de l’Hôpital général, on décompte jusqu’à huit séditions dans Paris avec armes contres les archers de l’hôpital[17]. Il y a donc de plus en plus de difficulté à arrêter les pauvres.
Pour contrer cela, la ville de Montpellier, comme certaines villes, vont décider de protéger ses chasse-gueux en leur donnant une deuxième fonction. Ils sont dorénavant chasseur de mendiant mais aussi porte casaques[18]. Dessus, un écusson y est présent où se trouve les armoiries de la ville pour empêcher les mauvais traitements envers eux. Cela reste un échec et la population leur porte encore des coups. On peut penser que Vannes, en voyant ce problème et pour protéger ses chasse-gueux eut la même idée quelques années auparavant. il est marqué dans une des délibérations[19]. Cependant, les « chasse-gueux » étant mal payés et ayant une faible opinion populaire, décident de s’entendre avec les pauvres contre de l’argent[20].
Néanmoins, dans certaines régions comme par exemple à Dijon au XVIIe les pauvres ont différents statuts, en fonction qu’il soit oui ou non étranger à la ville ou à la province. En effet, ceux originaires de la ville ou de ses faubourgs sont châtiés et enfermés alors que les mendiants étrangers sont seulement reconduits hors des murs de la ville.[21]
La question de la maladie est un sujet important, l’observation des registres marque bien cela. Dans plusieurs délibérations, l’assemblée se met d’accord pour donner des fonds afin de construire et de rénover un hôpital : « L’assemblée a aussy chargé le procureur sindic de payer toutes les réparations nécessaires à l’hospital pour la conservation de l’esdifice et la commodité des pauvres attendant la perfection de l’ouvrage commencé »[22]. Cet édifice va permettre d’accueillir de nombreux pauvres et mendiants qui errent dans la rue. Pour l’assemblée, cela permet la réduction des risques de contagions en cas d’épidémie dans la ville. Ils laissent la gestion de cet hôpital aux ordres religieux qui sont présents au sein de la ville.
[1] Hildesheimer Françoise, Des épidémies en France sous l’Ancien Régime, Nouveau Monde, Paris, 2021, p.52.
[2] Belams Elisabeth, Pouvoir politique et catastrophe sanitaire : la « publication » des épidémies de peste dans la France moderne, Paris, p. 47.
[3] AMV, BB2 : assemblée du 14 janvier 1628
[4] AMV, BB2 : Assemblée du 14 juillet 1628.
[5] AMV, BB2 : Ibid : « […] a chargé aux sieurs [Sacher] qu’en cas de malladie épidimique, il ne pourra s’absenter de ceste ville plus de deux jours et de visiter les pauvres en hostel de dieu et pouvoir de son art à la malladies gratuitement. ».
[6] Hildesheimer F., Des épidémies en France sous l’Ancien Régime, Nouveau Monde, Paris, 2021, p.47
[7] Ibid., p. 45
[8] AMV, BB2 : Assemblée du 13 juin 1625
[9] AMV, BB2 : Assemblée du 31 juillet 1626 : « ladicte communaulté a continué les chasses gueux pour un mois et a chargé le syndic de payer leur salaires pour le passé et les faire advertir de faire mieux et délibéré ».
[10] Chamayou Grégoire, La Chasse à l’homme, La Fabrique Editions, Paris, 2010, p. 121.
[11] Ibid., p. 114.
[12] Ibid., p. 115.
[13] Ibid., p. 115.
[14] Ibid. p. 116.
[15] Ibid. p. 119
[16] Généralement des petits gens de la société : nonnes, taverniers, prostituées, etc.
[17] Chamayou G., op. cit. p. 120.
[18] Manteau court, porté largement ouvert, avec des manches bouffantes et courtes, laissant apparaître les manches de en dessous.
[19] AMV, BB2 : Assemblée du 13 juin 1625 : « Jan et Jacq les Pezdronno porte cassaques […] »
[20] Chamayou G., op. cit., p. 120.
[21] Ibid., p. 117.
[22] AMV, BB2 : Assemblée du 19 juillet 1628.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Arthur Le Menn (5 décembre 2024). Vannes au temps de la maladie (1625-1629). Master civilisations, cultures et sociétés. Consulté le 23 janvier 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12uj6
