Le couronnement du dernier duc de Bretagne : François III (1532).
La fin du XVe siècle marque un passage pour le duché de Bretagne. Le point de bascule étant l’édit d’Union au royaume de France de 1532. Cet accord, certes politique et territorial, marque également le dernier couronnement d’un duc de Bretagne dans son territoire.
Le couronnement ducal breton possède, au-delà de sa forme unique, une symbolique toute particulière. Son emploi permet d’assurer et de proclamer solennellement un individu comme souverain. En outre, un duc couronné est pleinement prince dans son duché tout comme « le roi est empereur dans son royaume »1. Cela étant dit, en août 1532, la situation est tout à fait exceptionnelle. Le duc qui s’apprête à monter sur le trône ducal est certes le fils de Claude de France, elle-même fille d’Anne de Bretagne. Mais il n’en reste pas moins le dauphin de France, en outre, le futur roi. Un cas de figure unique, d’autant plus pour le duché que pour la couronne française.
En effet, cette cérémonie est souvent ignorée. A ce jour, nous ne dénombrons que quelques études, comme notamment celle de Anne-Marie Le Coq, qui ne montrent qu’un seul aspect de cet événement qu’est le recours au Cantique des Cantiques 2 ou bien l’étude de Philippe Hamon, qui, pour sa part analyse la globalité de cette cérémonie3. En somme, cet événement est facilement dissimulé par l’épisode de l’Union de la Bretagne et les conséquences de cette dernière passe inaperçu. Les événements qui se succèdent dans cette annexion ne se concentrent que sur Vannes, le lieu d’où provient ce rattachement politique. Toutefois, le cœur de notre intrigue se porte bien sur Rennes, capitale du duché de Bretagne ou du moins capitale du couronnement ducal breton. Puisque vraisemblablement, cette cérémonie a toute son importance dans cette réunion des deux États. Elle est autant une conséquence de cette Union que le dernier espoir d’une affirmation du pouvoir ducal en Bretagne.
La cérémonie que constitue le couronnement est employée depuis que les rois se sont installés dans ce duché. Cette coutume s’est pérennisée, complexifiée et particulièrement codifiée au fil des années et des siècles jusqu’à atteindre son apogée sous les Montfort. Le premier cérémonial avéré ainsi que détaillé de ce rituel souverain reprenant l’avènement de Jean V (en mars 1401) est visible dans la Chronique anonyme de Saint-Brieuc. Il y est exposé « la forme et manière de la premiere entree que doivent faire les ducs de Bretaingne à Rennes ». Ce n’est pas le seul récit qui transcrit ce cérémonial. Par la suite, nous avons le Missel Pontifical de Michel Guibé4 reprenant le couronnement d’Anne de Bretagne ainsi que celui de Michel Champion, qui, pour ce dernier relate celui de François III de Bretagne.
Ce dernier cérémonial, réalisé au moment des faits (en août 1532) à la demande de la ville, est mis à l’écrit par Michel Champion le procureur des nobles, bourgeois et habitants de Rennes. Il y détaille scrupuleusement chacun des rites et usages réalisés et employés lors de cette cérémonie. Ce manuscrit sur parchemin de 23 feuillets et complété de trois grandes enluminures5 reprend et démontre que l’ensemble des usages et rites employés dans les précédents couronnements sont réalisés à quelques exceptions près.

François III est représenté en habit de cérémonie, couronné et
portant le sceptre de justice de sa main droite, cela dans une structure architecturée, décorée et
colorée.
Chacune des cérémonies débute par l’arrivée du souverain à l’extérieur de la ville de Rennes dans l’abbaye et monastère de Saint-Melaine où il y loge. Il y reste quelques jours ou quelques heures selon les cas, pour y régler les derniers préparatifs. Avant de pouvoir réaliser par la suite son entrée solennelle à la Porte Morledaise de la ville. Cette entrée débute par la composition d’un cortège avec à sa tête, le futur duc. Il doit avant de passer les portes « jurés à Dieu la foi Catholique & l’Église de Bretagne en ses libertés observés et gardés » devant un public servant de témoin, composés des barons et nobles de Bretagne, ainsi que du peuple rennais, incarnant le peuple breton6.Ce n’est qu’à la suite de cela que le duc accompagné de son cortège peut entrer dans l’enceinte de la ville. A la différence de l’ensemble des couronnements ducaux breton (entre 1213 et 1532), la cérémonie réalisée par François III est la seule où le souverain ne passe pas par la Porte Mordelaise. Lors de son entrée ducale il passe par la Porte aux Foulons.
À la suite du passage de cette porte à l’enceinte de la ville, le souverain défile dans les rues de Rennes, jusqu’à se rendre à l’église Saint-Pierre où il doit réaliser une veillée d’armes. C’est-à-dire qu’il passe la nuit précédant son couronnement dans l’église, pour y prier « devant l’Aultier de Saint-Pierre en la grande Église de Rennes jusques après Matines ». François de Valois ne réalise également pas cette étape du cérémonial. Ceci peut constituer un indice supplémentaire qu’il est conscient qu’il ne sera pas totalement souverain dans son duché et qu’il peut se permettre de ne pas complètement s’impliquer dans le rituel. Il rentre donc au logis pour y passer la nuit. Le lendemain matin, le mercredi 14 août, sur les coups de sept du matin. Le cortège de la veille vient chercher le futur duc pour l’accompagner jusqu’à l’église Saint-Pierre.

Métropole de Rennes.
Avant de réaliser son entrée, l’ensemble du cortège remplissait l’église. François n’y rentre qu’en dernier et se place au premier rang sur une estrade où est placé « l’échafaud » recouvert d’un drap d’or, symbolisant son origine royale, ainsi que son élévation au plus haut rang dans le duché7. Il commence par se mettre à genoux, l’évêque de Rennes, Yves Mahyeuc, lui récite des oraisons. À la suite de cela, la cérémonie débute par la remise des ducalia ou plus simplement appelés les insignes royaux du duc. Il est assis sur sa chaise, on lui enlève sa robe, pour qu’elle soit remplacée par un manteau de couleur pourpre, fourré d’hermines, qui constitue l’habit royal des ducs bretons. Ensuite, on lui remet sur les épaules, un collet d’hermines, une sorte de col qui descend sur les épaules et sur l’abdomen. Puis lui est remis le collier de l’ordre de l’Hermine8. Ce n’est qu’après avoir reçu ces habits ducaux, qu’il reçoit la couronne ducale qui est bénite et posée sur la tête du duc des mains de l’évêque de Rennes9. Une fois cela reçu, c’est au tour de l’épée tenue par le baron d’Avaugour, ainsi que du sceptre, d’être remis.
Pour illustrer l’ensemble de ces insignes, nous pouvons nous référer à la première enluminure présente dans le manuscrit de Michel Champion10. François III, y est représenté en majesté ducale. Ce n’est qu’à partir de ce moment précis, que le couronnement, à proprement parler, est concrétisé11. Le dauphin est considéré comme étant duc de Bretagne. S’ensuit un second serment, qui renouvelle le premier réalisé la veille, où le duc promet cette fois-ci fidélité au duché, d’y faire régner la paix et de se placer comme son représentant légitime12. Ce serment sert, par ailleurs, à proclamer qu’il défendra les libertés et droits de l’Église, de la noblesse ainsi que de tous ses sujets et cela est d’autant plus symbolique dans le contexte d’union dans lequel se trouve le duché. Une fois ce dernier serment réalisé, le Te Deum est chanté. Au même moment François III réalise autour de l’église une procession. Il défile et tient l’épée à mains nues ainsi que la couronne ducale sur sa tête. Cette déambulation lui permet de se montrer pleinement dans cette nouvelle position, qui est celle d’être duc et non plus simplement dauphin de France. Traditionnellement, le rituel s’achève par une messe solennelle, le plus souvent celle du jour. Pour autant, après cet office religieux le duc arme différentes personnes. C’est-à-dire qu’il les adoubent. Une étape fréquemment réalisée lors de la cérémonie du couronnement ducal breton. Nous pouvons par exemple mentionner parmi ces personnes : « les sires de la Roque, de Balanzac, et Malestroit », ou encore « Pierre d’Argentré, sénéchal13, François Brullon de la Musse » ainsi que « Christophe des Foretz ». Le duc profite, en effet, de cette cérémonie pour matérialiser directement son autorité et ses pouvoirs par une première action symbolique.
Il est important de rappeler que l’évènement que constitue le couronnement touche l’ensemble de la ville. Une réelle ferveur populaire se crée. Tout le monde veut célébrer cet événement et ce nouveau duc. La participation du dauphin à ces cérémonies montre son adhésion en tant que duc, ainsi que la réunion de ces deux entités. En somme, le rituel se termine, mais pas les festivités. Ces dernières ne font que de débuter. Dès sa sortie de l’église, le duc est reconduit par son cortège au manoir épiscopal, où se tient le banquet14. Il prend un temps pour se dévêtir de son manteau et de ses apparats, « excepté la couronne » qu’il garde sur la tête. Il est accueilli par les trompettes qui sonnent et l’ensemble des personnes déjà présentes lors de la cérémonie. La salle est « richement tapissée »15. Ces derniers lui font la révérence, pour lui témoigner leur respect.
Lors de ce banquet, a lieu un dîner. Le duc y reçoit des présents, comme notamment de la part des habitants de la ville de Rennes, « une Hermine d’or émaillée, faite auprès du vif, qui se reposoit sur une terrasse émaillée entre six beaux lys environnées d’un riche chapeau de triomphe, le tout pesant huit marcs d’or ou environ »16. Cette hermine désigne et matérialise l’Union faite lors des États tenus à Vannes. Un présent tout à fait symbolique pour ce nouveau prince. Aucune trace de ce présent n’existe à ce jour. Très vite par la suite, des gens de l’écurie du roi, son père, arrivent pour lui signifier qu’il se trouve à Nantes pour y « faire un Tournois & mandoit audit Seigneur » d’y assister17. Le duc quitte Rennes dès le lendemain pour rejoindre son père. Les Rennais l’accompagnent et lui indiquent la route à suivre pour s’y rendre. François est « très-content » autant de l’accueil que du traitement qu’il a pu recevoir.
François III, arrive à Nantes le 18 août, où il peut réaliser sa première entrée ducale hors celle qu’il a déjà effectuée quelques jours auparavant18. Il y est reçu tel le prince et souverain qu’il est. Pour autant, ce départ précipité ainsi que l’absence de son père lors de ce couronnement posent problème, est-ce un choix programmé ? Sa présence lors de ce rituel, aurait pu signifier son respect pour une ancienne coutume bretonne ainsi que son nouveau statut de « protecteur » de la Bretagne. Le contexte dans lequel il prend place est certes particulier. Pour autant, il marque autant la fin d’une période d’indépendance et d’autonomie pour le duché, que la fin d’une cérémonie utilisée depuis que les princes bretons cherchent à s’autonomiser dans leur propre principauté. Puisque l’aspect le plus significatif est de garder ce territoire « soubs la conduite d’un chef très-fidelle (sic) pour la maintenir toujours en son obéissance »19.
Outre la cérémonie qui s’est tenue, nous pouvons interroger la décision qui a été prise. Celle d’instaurer dans le duché de Bretagne un nouveau duc, de le couronner selon « l’ancienne coutume » ainsi que d’administrer ce territoire, selon le bon vouloir du roi de France, François Ier. Cela ne constitue évidemment pas une simple action diplomatique de la part du roi ou des institutions bretonnes. De prime abord, le choix du futur duc est pris d’un commun accord, comme il est présenté dans les édits20.Pour autant, il est flagrant à la lecture du couronnement de François III et en le comparant aux autres couronnements ayant déjà eu lieu dans la région, que cette dernière cérémonie n’est autre qu’une mise en scène française sous le masque d’un rituel breton. En cause déjà, le budget prévu pour cette dite cérémonie. Bien plus conséquent que ceux déjà réalisés. Le roi paye le prix fort pour un couronnement breton, qui doit profiter au royaume de France. Notamment pour la couronne ducale, celle-ci a été commandée quelques jours auparavant à un orfèvre de Vannes et coûte près de « 219 livres 9 sous tournois » uniquement pour l’achat de l’or21. D’autre part, un aspect qui n’est pas dû au hasard peut nous amener à nous questionner sur les réelles intentions du roi ainsi que du duc pour cette nouvelle province française. Pour cause, plusieurs des étapes sont pleinement omises du rituel dit type breton. Des étapes qui, de par leur solennité et leur importance ne laissent que peu de place au doute sur le fait qu’elles ont été négligées et /ou exclues de ce dernier couronnement.
- BARBICHE Bernard. « III – Le roi législateur », , Les institutions de la monarchie française à l’époque moderne. XVIe-XVIIIe siècle, sous la direction de Barbiche Bernard. Presses Universitaires de France, 2012, p. 59-75. ↩︎
- LE COQ Anne Marie, François Ier imaginaire, Paris, Macula, 1987, p. 367 – 369. ↩︎
- HAMON Philippe, « Rennes, 1532 : le dernier couronnement ducal », PROVOST Pic A, Yves Mahyeuc : 1462 – 1541.Rennes en Renaissance, Rennes, PUR, 2010, p. 325 – 342. HAMON Philippe, « Rennes, 14 août 1532 . Le dernier couronnement d’un duc de Bretagne. », Place Publique, 20¸2012, p. 70- 75. ↩︎
- BNF, ms. fr, 11533 – « L’entrée et couronnement du duc Franczoys troysiesme de ce nom en la ville et cité de Rennes, cappitale du duché de Bretaigne, » par Michel CHAMPION. (1532) – XVIe siècle – Parchemin de 23 feuillets, 305×215 mm. Reliure veau. Manuscrit en français. ↩︎
- Entrée à Rennes et couronnement de François de Valois, dauphin de France et duc de Bretagne: 12, 13, et 14 août 1532. Rennes, France: Alphonse Leroy fils, 1879, p. 18. ↩︎
- Ibid, p. 14. ↩︎
- Ordre de chevalerie crée par Jean IV (1381). ↩︎
- Ibid, p. 24. ↩︎
- BNF, ms. fr, 11533 – « L’entrée et couronnement du duc Franczoys troysiesme de ce nom en la ville et cité de Rennes, cappitale du duché de Bretaigne, » par Michel CHAMPION. (1532) – XVIe siècle – Parchemin de 23 feuillets, 305×215 mm. Reliure veau. Manuscrit en français, f°2. ↩︎
- LE PAGE Dominique et NASSIET Michel, L’Union de la Bretagne à la France, Morlaix, Skol Vreizh, 2003, p. 163. ↩︎
- KOZERAWSKI Audrenne, ROZEC Gwénaëlle, et KERHERVE Jean. Vivre et mourir à la Cour des Ducs de Bretagne. Morlaix: Skol Vreizh, 1993, p. 34. ↩︎
- Père de Bertrand d’Argentré. ↩︎
- Entrée à Rennes et couronnement de François de Valois, dauphin de France et duc de Bretagne: 12, 13, et 14 août 1532. Rennes, France: Alphonse Leroy fils, 1879, p. 29. ↩︎
- Ibidem, p. 29 ↩︎
- Ibid, p. 32. Huits marcs d’or, correspond à un peu moins de 2kg. ↩︎
- Ibid, p. 34. ↩︎
- LE PAGE Dominique et NASSIET Michel, L’Union de la Bretagne à la France, Morlaix, Skol Vreizh, 2003, p. 164. ↩︎
- ARGENTRÉ Bertrand d’ (1519-1590) L’Histoire de Bretaigne, des rois, ducs, comtes et princes d’icelle : l’establissement du royaume, mutation de ce titre en duché, continué jusques au temps de Madame Anne dernière duchesse, & depuis Royne de France, par le mariage de laquelle passa le duché en la maison de France. Mise en escrit par… Bertrand d’Argentré,…, 1582, p. 1049 : « qu’il estoit nécessaire que la Bretagne qui est pays situé en frontière, pleine de plusieurs belles villes, forteresses, ports et havres, remplie de nombre de grands seigneur, de noblesse fort illustre et de riches prélats, fust donnée en charge, et soubs la conduite d’un chef très-fidelle (sic) pour la maintenir toujours en son obéissance ». ↩︎
- L’Union de la Bretagne à la France est ratifiée par le biais de différents édits et traités que sont : les traités de Vannes et Plessis-Macé (21 septembre 1532). ↩︎
- MARICHAL Paul (1870-1943), Catalogue des actes de François Ier. Tome 2, 1887, p. 184. Dans une valeur actuelle, cela correspond à peu près à 18 600 euros. ↩︎
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
lbettencourt (9 décembre 2024). Le couronnement du dernier duc de Bretagne : François III (1532). Master civilisations, cultures et sociétés. Consulté le 17 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12vj6