Aymar de Blois de La Calande (1760-1852) : le témoin d’une époque
Cet article est basé sur l’étude du fonds d’archives du manoir de Kerascoët, situé en Coat-Méal au nord de Brest. Près de 400 ans d’archives privées y sont conservées dans sa bibliothèque. Un fonds qui témoigne de l’histoire de plusieurs familles, mais aussi de celle d’une partie de la Bretagne. Un des membres de ces familles occupe une place importante, voire particulière dans ce fonds. Il s’agit d’Aymar Joseph Emmanuel Raphaël de Blois de La Calande.1
« […] Mais voilà que la mort vient de nous infliger un de ses plus terribles coups, en frappant M. de Blois, ancien capitaine de vaisseau, ancien membre de l’Académie de la marine. Non, je ne viens point vous entretenir des sentiments douloureux qui m’oppressent à la pensée de ne plus revoir en ce monde le frère de mon père, le digne chef de ma famille. Je crois même que les liens étroits qui m’unissaient à lui doivent m’interdire de vous parler des vertus qui ont honoré et embelli la plus longue carrière qu’il soit donné à l’homme de parcourir, des travaux utiles qui ont occupé toute sa vie militaire et civique, de cette science inépuisable qui lui rendait également familières toutes les branches de nos antiquités.
Mais je ne puis oublier que j’ai l’honneur d’être l’organe de l’Association Bretonne, dont, pendant plus d’un demi-siècle, dans ses études solitaires, il avait été le précurseur, qu’il a rempli, à l’égard de notre génération à laquelle il communiquait ses recherches, avec un abandon si modeste et si humble, un précieux ministère d’initiation, et qu’à l’âge de 92 ans, conservant le souvenir d’institutions qui ont disparu, il continuait d’être le lien et comme l’anneau intermédiaire de l’ancienne société et de la nouvelle. Je puis donc vous dire, Messieurs : la science que nous cultivons vient de faire une très grande perte. […] »2
Ce discours prononcé par Aymar Gabriel de Blois de La Calande, président de la Classe d’Archéologie de l’Association bretonne lors de la séance d’ouverture du dimanche 3 octobre 1852, résume les hautes fonctions qu’a pu accomplir son oncle. Une vie pleine d’actions et dotée d’un savoir inestimable, témoin de l’Ancien Régime et des changements politiques du XIXe siècle.
I – Un officier de la Marine Royale
A. Ses origines familiales
La famille de Blois de La Calande est originaire de la ville de Laon, où elle occupait dès le XVe siècle des charges de receveurs et avait un rang honorable dans la bourgeoisie.3 Elle serait issue de l’une des branches de l’illustre maison de Châtillon. Originaire de la Champagne, cette dernière regroupe durant le haut Moyen Âge des serviteurs des puissants et de grands feudataires. À la fin de l’époque médiévale, elle s’allie spécifiquement aux maisons de France et de Bretagne.4 Les jugements de noblesse rendus en 1668 par Louis-François Le Fèvre de Caumartin, intendant sous Louis XIV, sont favorables pour la famille de Blois de La Calande en la maintenant dans sa noblesse d’ancienne extraction.5
La seigneurie de La Calande est une terre annexe de la seigneurie de La Saulsotte (Aube, Grand-Est), d’où est originaire Jean Timothée (1674-1719) seigneur de Langenoux et de La Calande, engagé dans la Marine en 1692, lieutenant des vaisseaux du Roi et capitaine d’une compagnie franche de la paroisse de Saint-Louis à Brest. Ce dernier établit définitivement la branche de la famille de Blois de La Calande en Bretagne, par son mariage avec Françoise Thomase du Mains (1679-1757), le 1er septembre 1712 à Lopérec.6 Son fils François Julien (1718-1766) s’est également illustré dans la Marine, en qualité de capitaine des vaisseaux du Roi et chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis. Installé à Morlaix, dans la paroisse de Saint-Melaine, avec son épouse Thérèse Agathe Françoise Charlotte Provost de La Bouëxière de Boisbilly (1733-1783). Leur union donne cinq enfants : Aymar Joseph Emmanuel Raphaël (1760-1852), Françoise Thérèse Jacquette Marie Gabrielle (1761-1762), Marie Jeanne Bernardine Françoise Michelle Olimpe (1763-1763), Joseph François Bernard Gabriel Marie (1764-1846) et Marie Gabrielle Jacquette Amable Jeanne (1766-1834).
B. Une ascension fulgurante : la relève de ses pères ?
Aymar de Blois naît le 7 novembre 1760 à Morlaix7, dans une famille où la vie maritime est omniprésente. À la mort de son père en janvier 17668, sa tutelle, ainsi que celles de son frère Joseph François et de sa sœur Marie Gabrielle, sont assurés par leur mère, puis par leur oncle maternel, Jean-Jacques-Archibald (1736-1786), plus connu sous le nom de « l’abbé de Boisbilly ».9 Toutefois, cette perte ne l’écarte pas du milieu de la mer. Ses goûts viennent directement des exploits de son père et de son grand-père, mais aussi indirectement par les autres membres de la famille, tels que ses cousins de Villiers de l’Isle-Adam, Joseph Marie de Blois de Liours (1761-1807), le Chevalier d’Hémery, et son parrain Aymar Joseph de Roquefeuil (1714-1782).10 Son épouse, Angélique Élisabeth Péan de Livaudière (1765-1856), marque également le lien avec la Marine, car elle est la fille d’un ancien commissaire de Marine originaire de Nouvelle-France, Pierre René (1724-1767), et de Françoise Élisabeth Briochet (vers 1730-1790), originaire de Saint-Domingue.11
Aymar de Blois est admis au Collège royal de La Flèche en 176912, puis à l’École Royal et Militaire de Paris en 1774, où il est promu aspirant garde de la Marine en 1776, puis garde de la Marine en 1777. Arrivé à l’arsenal de Brest, se succèdent les nominations suivantes : garde du Pavillon Amiral en 1777, enseigne de vaisseau en 1778 et lieutenant de vaisseau en 1786.13 Cette ascension dans les échelons de la Marine ne sont pas seulement le fruit des actions réalisées par ses pères, mais ont sans doute infléchit sur sa notoriété et sa carrière maritime. Ces nominations sont en corrélation avec le contexte politique du royaume, où la crise identitaire de la haute société nobiliaire est l’un des résultats du siècle des Lumières.14
C. Ses exploits et ses échecs en Atlantique
Les premières missions qu’accomplit Aymar de Blois entrent dans le contexte de la guerre d’indépendance des États-Unis. De janvier à mai 1778, il navigue sur Le Fendant afin de relier le cap Finisterre jusqu’aux États-Unis d’Amérique.
De mai 1778 à janvier 1781, il est à bord du Sphinx sous les ordres du capitaine de vaisseau, Claude René Pâris, comte de Soulanges. Sur ce navire, Aymar de Blois est témoin de plusieurs conflits : il reçoit son baptême du feu le 27 juillet 1778, avec la bataille d’Ouessant, au côté de Louis Guillouet d’Orvilliers, lieutenant général des armées navales. Il participe à la prise de Saint-Louis du Sénégal le 31 janvier 1779, sous les ordres de la division du brigadier des armées navales, Jean-Louis Rigaud de Vaudreuil. Autre expédition, celle de l’attaque de l’île de la Grenade du 6 juillet 1779, dans l’escadre du vice-amiral Charles Henri d’Estaing.
Aymar de Blois rencontre également des échecs, notamment lors de l’affaire de Savannah de septembre à octobre 1779, où il commande les chaloupes et les canots du Sphinx ; finalement remportée par les Britanniques. Autres batailles, celles livrées par Luc Urbain du Bouëxic de Guichen en Dominique le 17 avril 1780, et en Martinique les 15 et 19 mai suivant, contre l’escadre de l’amiral britannique Georges Rodney ; Aymar de Blois est blessé durant le second combat.15
D. Ses obligations à l’arsenal de Brest
En janvier 1781, en France, l’état-major du Sphinx est transféré successivement sur plusieurs navires : sur l’Indien de mai à juin, la Bretagne de juin à novembre, et enfin le Pégase. Ce dernier vaisseau, sous la direction du comte de Soulanges, va rejoindre la Manche vers la flotte espagnole du commandant Don Luis de Córdova. Malheureusement, Aymar de Blois souffre du scorbut et doit être débarqué rapidement, en janvier 1782, où il se retire au manoir familial, au Launay.

Six mois à peine, en juin 1782, Aymar est attaché au détail des constructions navales à Brest. Il ne retourne en mer qu’en octobre 1785, à bord de la frégate la Railleuse, un stationnaire aux îles Sous-le-Vent. Il revient en France en juillet 1786, où il est employé au port de Lorient, puis prend trois mois de congés pour son mariage. De juin à octobre 1787, il embarque sur La Bayonnaise pour la croisière d’instruction des élèves de la Marine, et sur les Deux-Frères où il est major du chef d’escadre, le comte de Soulanges, d’octobre à novembre 1787. Enfin, en mai 1788, il est affecté à l’escadre d’évolution de la Méditerranée sur le Léopard qui stationne à Saint-Domingue jusqu’à juin 1790.16
II – Un politicien local et finistérien
A. Une rupture : la période révolutionnaire
Néanmoins, en France, la Révolution règne et le retour d’Aymar de Blois est compliqué : il quitte les Antilles à bord du paquebot le Courrier du Cap et arrive au port de Lorient début août 1790. Avec les dépêches du gouverneur de Saint-Domingue, il se rend à Paris pour remettre en main propre le rapport attendu par le Ministre de la Marine et des Colonies.
À la suite de ces événements, Aymar de Blois avait derrière lui les premières années d’une carrière qui s’annonçait brillante, mais qui fut bafouée par la Révolution. Sa fidélité envers le Roi lui interdit de servir ceux qui s’étaient soulevés contre la monarchie. Il se retire au manoir du Launay à cause d’une santé déficiente. Mais de son utilité à Paris et de son attachement à la royauté, il lui est impossible de rentrer à Ploujean, au risque d’être arrêté par les autorités. Il se réfugie en conséquence dans la maison de sa belle-famille, à Blois (Loir-et-Cher, Centre-Val de Loire).
Bien que les troubles révolutionnaires font peser en permanence une menace sur eux, notamment en les conduisant à vendre les propriétés de Saché, de Valesne et d’Onzain17, Aymar et son épouse Angélique Élisabeth accueillent leurs premiers enfants : Angélique Élisabeth Marie (1788-1862), Charles (1791-1874), Louis (1793-1884) et Agathe Élisabeth (1795-1815).18 Néanmoins, Aymar de Blois ressent le mal du pays : il supporte mal son exil forcé à Blois, car il est un homme de la mer, mais aussi, il constate son impuissance face à l’agitation alimentée par la haine et la violence. À son retour en Bretagne, en 1797, il décide de mener ses premières actions politiques dans la région de Morlaix.
B. Escale dans la région morlaisienne
Sa première nomination est celle d’adjoint au maire de Ploujean, par arrêté du 9 Messidor An VIII (28 juin 1800) du préfet du Finistère, François Charles Luce Didelot. Ceci marque un nouveau sens pour Aymar de Blois, agissant ainsi pour de nobles causes, au service des autres. Pourtant, plusieurs regrets le taraudent, comme ses obligations pour parfaire l’éducation de ses enfants.
Par ailleurs, Aymar de Blois eut d’autres fonctions dans la commune voisine de Ploujean, celle de Morlaix où il devient commissaire pour la révision des comptes des Hospices et Établissements de Bienfaisance de l’arrondissement, nommé par le préfet Honoré-Gabriel de Miollis en 1807. Puis un peu plus tard dans sa vie, en 1825, il est membre de la commission sanitaire de Morlaix, où il se distingue par son dévouement pendant l’épidémie de choléra de 1832. Il se destine ainsi à l’une de ses brillantes actions, l’importance de la santé publique et de secours.
En juin 1806, une surprise lui vient du Collège Électoral du département : celle de sa nomination au Conseil général du Finistère par décret impérial.19 Une confiance témoignée et une place évidemment onéreuse pour sa famille qui s’est agrandie depuis leur arrivée au manoir du Launay, avec Gabrielle Thècle (1797-1797), Théodore Julien (1799-1836), Étienne Gabriel (1801-1879), Mélanie (1803-1877), Caroline Octavie (1806-1841) et Eugénie Julienne (1808-1878).20 Faisant partie de la commission chargée d’établir l’état et les besoins du département, les actions et les devoirs d’Aymar de Blois vont au-delà de sa vie fort retirée à Ploujean, où il est élu maire, en remplacement de Paul Émile Louis Marie de La Fruglaye (1766-1849), de 1815 à 1816.21
C. À la tête du département
Au Conseil général du Finistère, Aymar de Blois acquiert plusieurs fonctions : il est nommé comme secrétaire de la délégation en 1806, dont les actions reposent sur la rédaction des mémoires et des notes, sur divers objets de réclamations. L’une de ses spécialisations est la question de l’agriculture, de la pêche et du commerce maritime ; il y consacre une grande partie de son activité.
Conseiller provisoire de préfecture en 1808, il devient en 1809, en l’absence du préfet, délégué pour présider les opérations de tirages de la levée des conscrits de 1810 dans les cantons de l’arrondissement de Quimper, ainsi que président du conseil de recrutement du département. Il est également nommé membre du Collège Électoral du département grâce à son abnégation dans différentes commissions électorales.22
Tout au long de ses mandats, Aymar de Blois poursuit toutefois ses activités dans l’arrondissement de Morlaix, mais aussi et surtout, à l’éducation de ses quatre fils qui se destinent tous au métier des armes : la Marine pour Charles, Louis et Théodore Julien ; l’armée de Terre pour Étienne Gabriel.
D. Son retour à la Marine
En 1815, à la fin de l’Empire et la mise en place de la Restauration, se rassemble un groupe nord finistérien d’anciens officiers de la Marine, dont Aymar de Blois, pour exprimer au nouveau Roi Louis XVIII, leur fidélité et leur service pour la monarchie. Ceci résulte d’une lettre du Ministère annonçant à Aymar sa réintégration dans la Marine en tant que capitaine de vaisseau, mais en situation de non-activité. Il a alors 55 ans, où il est nommé, la même année, chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis ; une distinction tardive mise en cause par la Révolution, alors qu’il avait réuni les conditions dès 1791, à savoir prouver sa vaillance assortie d’une durée de service d’un minimum de dix ans.23
Aymar de Blois est donc rappelé en service à Brest en 1816, où il est obligé de démissionner de sa fonction de Conseiller général ; poste attribué par ailleurs à son frère Joseph François, habitant au manoir de Poulguinan, près de Quimper. Pourtant, le 1er novembre 1817, Aymar et tous les autres officiers de l’ancienne Marine sont contraints de prendre leur retraite définitive, en vertu d’une mesure générale visant à diminuer les effectifs. Une retraite militaire et politique à la veille de ses 57 ans, où il vit l’opportunité de poursuivre, entre Ploujean et Morlaix, l’éducation de ses enfants, et de se livrer à ses études sur l’histoire, les traditions et les monuments de la Bretagne. La dernière concrétisation de sa carrière politique est sa nomination comme chevalier de la Légion d’honneur en 1825.24

III – Un intellectuel membre des sociétés savantes
A. Une figure paternelle et d’inspiration : l’abbé de Boisbilly
Grand orateur et écrivain distingué, l’abbé de Boisbilly fait partie de ce groupe d’hommes remarquables qui honorèrent la Bretagne à la seconde moitié du XVIIIe siècle. Diplômé docteur en Sorbonne, son statut le mène à être député du chapitre de Quimper en 1767, puis abbé de Notre-Dame du Tronchet au diocèse de Dol (Ille-et-Vilaine) en 1776. Délégué ordinaire de son chapitre aux États de Bretagne, il était l’un des membres les plus éminents et avait acquis la connaissance des intérêts de la province. Des qualités qui l’avaient fait nommer membre de la commission intermédiaire centrale de Rennes.25
Doué dans la science des antiquités du pays breton, qu’elles soient historiques ou généalogiques, il fut un chercheur infatigable et un auteur de nombreuses poésies fugitives et élégantes appréciées des châteaux et des salons de son époque.
Grands amis de savants et d’érudits bretons, il était d’une très grande culture qui marqua l’influence du jeune Aymar. L’abbé de Boisbilly éprouvait vraisemblablement un plaisir à éveiller la vive sensibilité et l’exceptionnelle intelligence de son neveu ; comme un père avec son fils. Aymar n’hésite pas à le rappeler dans une dédicace qu’il laissa dans un document rédigé par son oncle, le « Registre de Boisbilly » adressé le 5 septembre 184226 à l’évêque de Quimper, Joseph-Marie Graveran :
« […] je touchais déjà à ma 30ème année lorsque la Révolution de 1789 vit amener de si grands changements dans l’Église et dans l’État. Les conversations intéressantes de mon oncle, lorsque mon service dans la Marine me permettait d’en jouir et les voyages que j’ai faits avec lui en Bretagne, dans ces intervalles m’avaient procuré des lumières sur cette partie de l’histoire du Pays, et dont je crois lui devoir le tribut. […] »27
B. Un savant humaniste de l’Ancien Régime…
Libéré de ses obligations municipales et départementales, Aymar de Blois partage son quotidien entre sa famille et ses études. Pour combler le vide après l’interruption de sa carrière d’officier et de son mandat au Conseil général du Finistère, il va être guidé par le souvenir laissé par son oncle et maître : celui des recherches.
La première institution à reconnaître son esprit scientifique est celui de l’Académie de Marine de Brest, voué à l’étude des sciences de la navigation, et dont l’un des membres fondateurs n’est autre que son parrain Aymar Joseph de Roquefeuil.28 Aymar de Blois est admis comme membre adjoint de l’Académie de Marine le 29 janvier 1789, jusqu’à sa suppression par décret de la Convention du 8 août 1793. Il est par ailleurs le dernier adjoint à survivre longtemps après la disparition de l’Académie ; une preuve vivante de l’ancien temps, l’Ancien Régime.29
Une autre institution où il est membre fondateur le 7 janvier 1784, est celle de la Société des Cincinnati de France, dont le but est de perpétuer le souvenir des événements qui ont abouti à l’indépendance des États-Unis.
C. … et du XIXe siècle
À son retour en Bretagne, nourri par son amour pour la culture bretonne et le service rendu aux autres, Aymar de Blois intègre plusieurs sociétés, où il est : membre associé correspondant de l’Académie celtique en 1805, membre fondateur de la Société d’agriculture de Morlaix en 1817, membre fondateur de l’Association bretonne en 1843, fondateur et président d’honneur de la Société archéologique du Finistère en 1846.30 Il tient une telle réputation qu’elle dépasse les limites de la Bretagne, en devenant membre de l’Institut des provinces de France en 1845, et membre titulaire de l’Institut d’Afrique le 7 juillet 1840 ; ce dernier honneur qu’il refuse, s’estimant incompétent dans les affaires de ce même continent.31
Toutes ces intégrations lui apportent une source de connaissances intellectuelles et relationnelles, où il peut valoriser ses qualités de cœur et son influence obtenue par le passé à la tête du département. Aymar de Blois s’illustre ainsi dans plusieurs domaines : dans l’agriculture où il souhaite améliorer les méthodes de production, par la rédaction de notes à destination des agriculteurs et d’un mémoire « Sur l’emploi des engrais maritimes » publié en 1823.32 Autre domaine, celui de l’architecture, où il est à l’origine de la restauration de la chapelle absidiale et des vitraux de la cathédrale de Quimper ; des vitraux inspirés des travaux laissés par son oncle dans le « Registre de Boisbilly ». Il s’exprime enfin comme l’auteur de nombreux articles sur l’histoire et l’archéologie de la Bretagne, notamment en collaborant à la réédition du Dictionnaire historique et géographique de la province de Bretagne de Jean-Baptiste Ogée en 1843. Aymar de Blois apprécie également les collections de monnaies anciennes, mais aussi et surtout les poésies bretonnes.
D. Collectionneur de gwerzioù
Aymar de Blois est l’un de ces lettrés qui ont polarisé leur attention sur ces complaintes historiques et poétiques (gwerzioù en breton), que sont des contes et des récits en prose relevant d’une spécificité bretonne. Relatant majoritairement des histoires liées aux événements locaux, ces complaintes en langue bretonne ont une valeur documentaire à tous ceux qui veulent comprendre l’oralisation, la transmission, la transformation et la réactualisation de souvenirs historiques. Elles sont une source à ne pas négliger, ce qu’a pu apporter Aymar de Blois en effectuant la première collecte du genre en France, vers 1820.
Cette collecte est un phénomène singulier, mais pas isolé : elle voit le jour à la seconde moitié du XVIIIe siècle, marqué par les prémices d’un vaste mouvement de collecte des chansons populaires, en lien avec l’essor des idées préromantiques. Dès les années 1815, se développe un nouveau mouvement de collecte en France, particulièrement en Bretagne bretonnante, région considérée comme « le conservatoire de traditions celtiques ».33
L’intérêt pour le collectage s’élance réellement en Basse-Bretagne, par un petit nombre d’aristocrates issus spécifiquement de la région de Morlaix, dont en fait partie Aymar de Blois. On lui doit la première étude d’une complainte historique, L’Héritière de Keroulas (Ar Penherez a Keroulas en breton), relatant un mariage malheureux qu’il confronte avec un événement daté de 1565. Une étude qui a de l’ampleur dans l’érudition bretonne, preuve qu’il existe en France une tradition orale des chants historiques.

Précurseur de sa génération, ce sont les personnes de la génération suivante qui poursuivent le collectage. Ultérieurement, ce collectage passe à une autre échelle : celle de la publication présentant les richesses historiques de la chanson à la France et à l’Europe, notamment par Théodore Hersart de La Villemarqué (1815-1895), fondateur du Barzaz-Breiz en 1839.34
Un service de quarante-huit ans au sein de la Marine Royale à l’arsenal de Brest en tant que capitaine des vaisseaux du Roi et chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis. Des mandats en tant qu’adjoint puis maire de Ploujean, ou encore Conseiller général du Finistère, des fonctions qui sont la preuve de sa carrière en tant que politicien, spécialement récompensée par sa nomination à la Légion d’honneur. Un érudit membre ou fondateur de sociétés savantes, passionné par les sciences maritimes et agricoles, l’histoire, l’archéologie, la littérature, la philosophie, la numismatique et la poésie, mais aussi très attaché à la culture bretonne.
Aymar de Blois de La Calande a été un homme polyvalent et d’action, comprenant et aidant le peuple. Témoin de la chute de l’Ancien Régime, des violences de la Révolution et des changements politiques régnant à la première moitié du XIXe siècle, il sut se montrer utile, inventif et modeste. Il possédait une réputation et surtout une clarté d’esprit, même jusqu’à son vieil âge, qui avaient marqué ses contemporains.
Le 7 septembre 1852, il meurt au manoir du Launay, deux mois avant ses 92 ans.35 Il venait de fêter son soixantième anniversaire de mariage avec son épouse Angélique Élisabeth Péan de Livaudière, avec qui il eut dix enfants. Son décès marque la fin d’une époque, d’un modèle, d’un homme de talent, d’inspiration et philanthrope. Récupérés par le général Étienne Gabriel, le plus jeune de ses fils, certains de ses écrits sont encore aujourd’hui conservés au manoir de Kerascoët, des travaux attestant de son génie.
- Tout au long de l’article, nous le nommerons ainsi : Aymar de Blois. ↩︎
- « Procès-verbal de la séance d’ouverture du dimanche 3 octobre 1852 : discours de M. de Blois, président de la Classe d’Archéologie », dans
Association Bretonne, Session, tenue à Saint-Brieuc, Compte-rendu et procès-verbaux, Sèvres, Imprimerie de M. Cerf, 1853, p. 29 ; mis en ligne sur B.N.F. Gallica, URL consulté le 19/11/2024 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5808388s ↩︎ - CHAIX D’EST-ANGE Gustave, Dictionnaire des familles françaises anciennes ou notables à la fin du XIXe siècle, Tome 4, Évreux, Imprimerie de C. Hérissey, 1905, p. 375-377. ↩︎
- LIMOUZIN-LAMOTHE Roger, PRÉVOST Michel et ROMAN D’AMAT Jean-Charles, Dictionnaire de biographie française, Tome 6, Paris, Letouzey et Ané, 1932, p. 686-690. ↩︎
- LE FÈVRE DE CAUMARTIN Louis-François, Procez-verbal de la recherche de la noblese de Champagne fait par Monsieur de Caumartin, avec les armes et blazons de chaque famille, Vouziers, Flamant-Ansiaux, 1852, p. 42-43. ↩︎
- BOLLERY Joseph, « Jean de Villiers de l’Isle-Adam (1667-1710) », dans La Bretagne de Villiers de l’Isle-Adam, Histoire – Généalogie – Biographie – Tourisme et Littérature, Saint-Brieuc, Les Presses Bretonnes, 1961, p. 5-19. ↩︎
- A.D. 29, Registres paroissiaux de Morlaix, paroisse de Saint-Melaine, Baptêmes-Mariages, 1753-1760, p. 261, cote : 1373 E DEPOT 52. ↩︎
- François Julien de Blois de La Calande meurt subitement, probablement d’une crise d’apoplexie, le 7 janvier 1766, à l’âge de 47 ans, en la paroisse de Saint-Melaine de Morlaix. Il avait alors trente-cinq années de service dans la marine ; A.D. 29, Registres paroissiaux de Morlaix, paroisse de Saint-Melaine, Sépultures, 1747-1779, p. 285-286, cote : 1373 E DEPOT 57. ↩︎
- Cf. dans cet article « III – Un intellectuel des sociétés savantes, A. Une figure paternelle et d’inspiration : l’abbé de Boisbilly ». ↩︎
- Aymar Joseph de Roquefeuil et du Bousquet est le cousin maternel de son père François Julien de Blois de La Calande ; Académie de Marine, « Roquefeuil (comte de – et du Bousquet) », dans Biographies 1752-1793 ; PDF consulté le 15/11/2024 : https://www.academiedemarine.com/documents/biographies/ROQUEFEUIL.pdf ↩︎
- Aymar de Blois, 26 ans, et Angélique Élisabeth Péan de Livaudière, 22 ans, se sont mariés le 30 janvier 1787 à Azay-sur-Cher, paroisse dépendante de Saché (Indre-et-Loire, Centre-Val de Loire) ; A.D. 37, Registres paroissiaux de Azay-sur-Cher, Baptêmes-Mariages, 1787, p. 3, cote : 6NUM6/015/051. ↩︎
- VOLUMES RELIES du Cabinet des titres : recherches de noblesse, armoriaux, preuves, histoires généalogiques. « Procès-verbaux des preuves de la noblesse des élèves de l’École royale militaire, … dressés par messire Antoine-Marie d’Hozier de Serigny, chevalier, juge d’armes de la noblesse… » (1753-1790). Collège royal de La Flèche. XIX Années 1769, 12 oct.-28 déc., 1701-1800, p. 187-190 ; mis en ligne sur B.N.F. Gallica, URL consulté le 19/11/2024 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b90070986/f193 ↩︎
- Académie de Marine, « Blois de La Calande (de) », dans Biographies 1752-1793 ; PDF consulté le 15/11/2024 :
https://www.academiedemarine.com/documents/biographies/BLOIS%20de%20LA%20CALANDE.pdf ↩︎ - MEYER Jean, « Chapitre IV – L’âge des vanités ? ou de la crise d’identité de la noblesse au XVIIIe siècle », dans La noblesse française à l’époque moderne : XVIe-XVIIIe siècles, Paris, Presses Universitaires de France, 1991, p. 95-124. ↩︎
- BLOIS DE LA CALANDE Gérard (de), « Aymar de Blois (1760-1852) », dans Association de la noblesse bretonne, Bulletin N°5, Printemps 2007, p. 8-9. ↩︎
- Académie de Marine, « Blois de La Calande (de) », op. cit. ↩︎
- Manuscrit, Extrait de plusieurs pièces authentiques ayant rapport à la mort de la succession de Monsieur Alain René Péan de Livaudière, dit de Valesne, Officier au Régiment colonial de L’Isle de France, fils de Monsieur Pierre René Péan de Livaudière, commissaire de la Marine, au département de Brest, et de Françoise Élisabeth Briochet, né à Brest, le 13 août 1758, paroisse de Saint Louis, suivant extrait en forme et légalisé délivré le 6 mars 1778, mai 1812, Aymar de Blois de La Calande, à Louis Aimé Dazémard de Lusignan, 4 pages ; Archives de Kerascoët, cote : L40/2/2/1/10/1. ↩︎
- Carnet manuscrit, Extrait du journal de mon Voyage autour du monde sur la Corvette de sa majesté La Coquille pendant les années 1822, 1823, 1824, et 1825, 1er, 7 janvier 1826, Théodore Julien de Blois de La Calande, p. 1-4 ; Archives de Kerascoët, cote : L86/2. ↩︎
- BLOIS DE LA CALANDE Gérard (de), op. cit., p. 13. ↩︎
- Carnet manuscrit, op. cit., Théodore Julien de Blois de La Calande, p. 1-4 ; Archives de Kerascoët, cote : L86/2. ↩︎
- LE BOËNNEC Nicolas, « Archives de Ploujean, Répertoire numérique détaillé », édité en 2014 (mise à jour de mai 2021), Bibliothèques de la ville de Morlaix, p. 267 ; PDF consulté le 16/11/2024 :
https://bibliothequesvillemorlaix.c3rb.org/images/contribution/3-infos-pratiques/1-services/Morlaix_-_Archives_de_Ploujean_-_Repertoire.pdf ↩︎ - BLOIS DE LA CALANDE Gérard (de), op.cit., p. 15. ↩︎
- CHEFDEBIEN Anne (de) et GALIMARD FLAVIGNY Bertrand, « Chapitre 1 – De la naissance au mérite », dans La Légion d’honneur, Un ordre au service de la Nation, Paris, Gallimard, 2002, p. 16-18. ↩︎
- BAUDRY J., « Le comte Aymard-Joseph-Emmanuel de Blois (9 novembre 1760-1852, 7 septembre) », dans Étude historique & biographique sur la Bretagne à la veille de la Révolution, à propos d’une correspondance inédite (1782-1790), Tome 2, Paris, Éditions H. Champion, 1905, p. 261-264. ↩︎
- BAUDRY J., « L’abbé de Boisbilly (Jean-Jean-Archibald Le Provost de la Boexière) », Ibid., Tome 1, p. 151-155. ↩︎
- À la date de cette dédicace, Aymar de Blois allait fêter ses 82 ans. ↩︎
- BOISBILLY Jean-Jacques-Archibald (de), « Registre de Boisbilly », Collections numérisées – Diocèse de Quimper et Léon, p. 2, cote : ADQL 8L1 ; URL consulté le 16/11/2024 :
https://bibliotheque.diocese-quimper.fr/items/show/13534 ↩︎ - Cf. note 10. ↩︎
- TAILLEMITE Étienne, « L’Académie de Marine une histoire tourmentée », dans Chronique d’histoire maritime, Paris, Commission française d’histoire maritime et Société française d’histoire maritime, septembre 2002, p. 37-43. ↩︎
- Académie de Marine, « Blois de La Calande (de) », op. cit. ↩︎
- BLOIS DE LA CALANDE Gérard (de), op. cit., p. 18. ↩︎
- Livre imprimé (copie), Mémoire sur les engrais maritimes et leur emploi dans les parties du département du Finistère ou l’on en fait-usage, 1823, Aymar de Blois de La Calande (imprimerie de V.r Guilmer), Morlaix, 50 pages ; Archives de Kerascoët, cote : L31/2. ↩︎
- GUILLOREL Éva, « La complainte du marquis de Pontcallec, les gwerzioù bretonnes et l’Histoire », dans CORNETTE Joël, Le Marquis et le Régent, Paris, Tallandier, 2008, p. 297-314 ; mis en ligne sur Cairn.Info, URL consulté le 18/11/2024 : https://shs.cairn.info/le-marquis-et-le-regent–9782847344820-page-297?lang=fr# ↩︎
- BLANCHARD Nelly, « Troisième partie. Affinités et révoltes. Essai de comparaison et de filiation ; Chapitre 1. Parenté mosaïque », dans Barzaz-Breiz, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2016, p. 215-253 ; mis en ligne sur OpenEdition Books, DOI consulté le 18/11/2024 : https://doi.org/10.4000/books.pur.32655 ↩︎
- A.D. 29, État civil de Ploujean, Décès, 1843-1852, p. 13, cote : 3 E 240/31/10. ↩︎
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Cécilia-Lou Mignon (10 décembre 2024). Aymar de Blois de La Calande (1760-1852) : le témoin d’une époque. Master civilisations, cultures et sociétés. Consulté le 17 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12vx4