La Fraise de Plougastel : De l’Exotisme à l’Essence du Terroir Breton
I. Introduction : Aux Origines d’un Fruit d’Exception
Au cœur de la Bretagne, dans la commune de Plougastel-Daoulas, la fraise est bien plus qu’un simple fruit : elle incarne le savoir-faire et l’héritage d’une terre riche en traditions agricoles. De son introduction par des explorateurs curieux jusqu’à son essor économique, la fraise de Plougastel s’est imposée comme un produit d’excellence. Elle attire aujourd’hui gourmets et amateurs de produits locaux, qui voient dans la fraise de Plougastel un symbole de qualité et d’authenticité. L’histoire débute cependant bien loin des terres bretonnes, portée par un homme en quête d’aventures.
II. Amédée François Frasier et l’introduction de la Fraise du Chili
L’épopée de la fraise en Bretagne commence au XVIIIe siècle avec Amédée François Frasier 1, un aventurier écossais dont le destin est lié à celui du fruit. Né en 1682 à Chambéry, Frasier appartient à une lignée de nobles écossais exilés en France suite aux persécutions religieuses. Rêvant d’expéditions lointaines, Frasier est missionné en 1711 par Louis XIV pour se rendre en Amérique du Sud, avec l’objectif de rapporter des informations sur les défenses des colonies espagnoles.
Après un périple de plusieurs mois en mer, Frasier atteint Valparaiso au Chili en 1712. Fasciné par la végétation locale et le savoir-faire agricole des peuples autochtones, il découvre un type de fraise unique : la « frutilla blanca », ou fraise blanche du Chili, cultivée par les Mapuches. Le fruit, plus grand que la fraise des bois française, présente une couleur blanc rosé et une saveur particulière, moins sucrée mais riche en arômes. Intrigué, Frasier ramène quelques plants en France en 1714. Il les offre à Monsieur de Jussieu, directeur du Jardin Royal de Paris, où débute alors la culture expérimentale de la fraise chilienne.
III. La Fraise de Plougastel : Naissance et Croissance d’un Emblème Breton
Au début du XIXe siècle, la culture de la fraise franchit un cap décisif. En 1820, Monsieur Le Gall, un Breton surnommé « l’étranger », introduit les fraisiers du Chili dans la région de Plougastel-Daoulas. Sur une petite parcelle de Keraliou, les premières fraises du Chili sont cultivées en Bretagne, et leur adaptation rapide au climat tempéré breton, caractérisé par une forte humidité et un ensoleillement doux, marque les prémices d’un succès durable.
Les agriculteurs locaux comprennent rapidement le potentiel économique de cette nouvelle culture, qui se développe dans toute la rade de Brest, de Lannouzel à Loperhet. Malgré des essais dans d’autres régions comme l’Anjou ou la Normandie, seules les terres bretonnes permettent une culture optimale de la fraise chilienne. Ainsi, au fil des décennies, la fraise de Plougastel devient un pilier économique et un symbole d’excellence régionale.
IV. Expansion de la Fraise de Plougastel (fin XIXe siècle – début XXe siècle)
À la fin du XIXe siècle, la fraise de Plougastel connaît une véritable expansion. La culture occupe près de 200 hectares, atteignant une production annuelle de 3 000 tonnes et générant des revenus importants pour les agriculteurs locaux. La rentabilité est telle qu’un hectare de fraises rapporte jusqu’à sept fois plus qu’un hectare de blé, et la fraise devient rapidement surnommée « l’or rouge » de Plougastel.
La production et la commercialisation de la fraise créent de nombreux emplois et renforcent l’économie locale. Aujourd’hui encore, la culture de la fraise à Plougastel continue d’évoluer, soutenue par des techniques modernes tout en préservant le savoir-faire traditionnel.
V. Variétés de Fraises Cultivées : Entre Tradition et Innovation
La fraise de Plougastel se distingue par des variétés emblématiques qui séduisent les consommateurs pour leurs qualités gustatives et leur apparence unique. Parmi elles, la Gariguette et la Charlotte sont particulièrement appréciées.
1. La Gariguette
Réputée pour son goût sucré et acidulé, la Gariguette est une des variétés préférées des amateurs de fraises. Son rouge vif et sa forme allongée en font un fruit visuellement attrayant, mais sa peau fine la rend fragile, nécessitant une cueillette et une manipulation minutieuses. Elle est récoltée dès le mois de mai, marquant le début de la saison des fraises en Bretagne.
2. La Charlotte
La Charlotte, plus ronde et dodue que la Gariguette, offre une chair douce et juteuse. Sa texture ferme et sa résistance au transport en font un fruit idéal pour la vente et la transformation en confitures et desserts. Elle est généralement récoltée un peu plus tard, ce qui prolonge la saison de la fraise à Plougastel.
D’autres variétés comme la Ciflorette et la Mara des Bois, aux goûts et apparences distinctes, enrichissent l’offre locale. Cependant, la Gariguette et la Charlotte restent les variétés phares, reconnues pour leur qualité exceptionnelle et leur lien avec le terroir breton.
VI. Méthodes de Culture : Savoir-faire Traditionnel et Techniques Modernes
La culture de la fraise de Plougastel repose sur des méthodes ancestrales, enrichies par les avancées modernes. Les pratiques traditionnelles, comme la rotation des cultures et le paillage, maintiennent la qualité des sols et la santé des plants. Ces méthodes favorisent une agriculture respectueuse de l’environnement et permettent aux fraises de se développer dans des conditions idéales.
Les techniques modernes incluent l’irrigation au goutte-à-goutte, qui optimise l’utilisation de l’eau, et la culture sous abri, où des serres et tunnels protègent les plants des intempéries. Ces innovations assurent une production durable et de haute qualité, répondant aux exigences actuelles en matière de sécurité alimentaire((Ministère de l’agriculture, 1ères journées nationales de la fraise, Plougastel-Daoulas, 1963)).
VII. Enjeux Économiques : La Fraise de Plougastel, Ressource Clé de l’Économie Locale
La fraise de Plougastel constitue un levier économique essentiel pour la région. En 2022, la production annuelle atteignait environ 4 000 tonnes, générant un chiffre d’affaires de 10 millions d’euros. Plus de 300 exploitations agricoles se consacrent à la culture de la fraise, employant près de 1 000 personnes, dont de nombreux saisonniers.
Les producteurs bretons, regroupés en coopératives, partagent leurs ressources pour optimiser la production et la commercialisation. Les coopératives, telles que Savéol, contribuent à maintenir des prix équitables et garantissent la pérennité des exploitations locales.
VIII. Enjeux Environnementaux : Vers une Agriculture Durable
La culture intensive de la fraise n’est pas sans impact sur l’environnement. L’utilisation de pesticides soulève des questions de durabilité, car elle peut affecter la biodiversité et la qualité des sols. En réponse, de nombreux producteurs de Plougastel s’orientent vers des pratiques plus respectueuses de l’environnement, en intégrant des techniques biologiques et des solutions phytosanitaires naturelles.
Les méthodes d’irrigation au goutte-à-goutte et de paillage permettent de réduire le gaspillage d’eau et de protéger les ressources naturelles. Par ailleurs, l’adoption de pratiques agroécologiques, telles que l’intégration de cultures intercalaires et de haies, renforce la biodiversité et soutient la pollinisation, essentielle pour la culture des fraises.
X. La fraise de Plougastel dans les journaux
La Fraise de Plougastel : Tradition et Héritage
Depuis des siècles, la fraise de Plougastel, importée du Chili, est devenue l’emblème d’une région bretonne passionnée. Dans les années 2000, les fêtes, expositions, et concours locaux illustrent l’attachement de Plougastel-Daoulas à ce fruit surnommé l'”or rouge”. La Confrérie de la Fraise, fondée en 1996, est à l’avant-garde de cette tradition, promouvant chaque année ce symbole en organisant des concours et célébrations où l’on couronne la “reine de la fraise”.
Le Musée de la Fraise, bien qu’ayant connu des difficultés financières, continue de préserver ce patrimoine à travers des expositions et événements. C’est aussi l’occasion de rappeler les bienfaits de la fraise, reconnue pour ses vitamines et vertus anti-stress. Chaque année, la fête s’enrichit de nouveaux éléments, comme en 2005 où les membres de la Confrérie prêtent un serment solennel en costume et défilent avec des personnages de bande dessinée.
Plougastel-Daoulas démontre ainsi sa capacité à pérenniser ce patrimoine culinaire, réunissant habitants et passionnés autour de la fraise. La Confrérie et le musée perpétuent cet héritage local, renforçant l’identité culturelle bretonne et attirant les visiteurs année après année.
Aux origines de la fraise de Plougastel : un fruit entre Chili et Bretagne, un rapport encore d’actualité
Dans un article de la revue Ar Men (numéro 141, juillet-août 2004), Chloé Batissou retrace les origines de la fameuse fraise de Plougastel, révélant son lien profond avec le Chili. Introduite en Europe au XVIIIᵉ siècle, la fraise chilienne suscite dès la conquête espagnole une fascination. Le missionnaire Alonso de Ovalle, dans son2, la décrit comme étant d’une taille impressionnante, parfois aussi grosse qu’une poire, avec des variations de couleur — du rouge au blanc en passant par le jaune.
Au fil du temps, deux principales variétés se développent : la fresa, d’origine californienne, et la frutilla, variété locale chilienne. Toutefois, dès les années 1950, la fresa californienne gagne du terrain, menaçant l’existence de la fraise chilienne authentique. Ce déclin se poursuit jusqu’aux années 1980-19903 , affecté par la culture d’autres céréales, l’usage d’insecticides et l’apparition de virus, si bien que, au début des années 2000, il ne reste qu’une quinzaine de producteurs.
En 2000, une collaboration voit le jour entre le Chili et Plougastel. Le président chilien Alberto Blanco et une délégation se rendent en Bretagne pour établir un plan de sauvegarde de la fraise. Tandis que le Chili se charge de la production, Plougastel, à travers la coopérative Savéol, s’engage à la commercialiser en France. Pour assurer la stabilité du produit, les chercheurs introduisent des techniques françaises de culture hors-sol et sous tunnels, améliorant le rendement et la qualité de la fraise chilienne, tout en préservant cet héritage fruitier unique.
XI. Conclusion : Un Fruit, Un Patrimoine
La fraise de Plougastel incarne aujourd’hui un savoir-faire ancestral, enrichi par des innovations modernes et des engagements écologiques. Face aux enjeux économiques et environnementaux, les producteurs bretons adaptent leurs pratiques pour garantir une agriculture durable et de haute qualité, tout en préservant l’authenticité de ce fruit emblématique. La fraise de Plougastel continue de séduire et de surprendre, portant fièrement les couleurs et les saveurs de la Bretagne dans toute la France et au-delà.
- Pierre Labbe, La fraise de Plougastel, Les quatres chemins, 2008 [↩]
- Historica relacion del reyno de Chile [↩]
- Réunion chambre de l’agriculture sur la relance de la fraise de Plougastel 1996 [↩]
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
abrenaut (21 novembre 2024). La Fraise de Plougastel : De l’Exotisme à l’Essence du Terroir Breton . Master civilisations, cultures et sociétés. Consulté le 23 janvier 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12qba
