Le passage des troupes américaines et allemandes à Plouvien

Plouvien, commune rurale bretonne sans histoire a vécu une libération tragique. Le 7 août les troupes américaines arrivent en ville, la joie s’empare de la population. Mais le 8 août, les habitants voient une colonne militaire traverser le bourg, ce ne sont pas des Américains. A cause de la rapide avancée de ces derniers, les Allemands ont pour ordre de se rendre à Brest, dans cette fuite précipitée plusieurs civils tombent sous les balles des soldats.

Introduction

L’été 1944 est un tournant dans la Seconde Guerre mondiale. Le 6 juin, plus de 155 000 soldats Alliés débarquent sur les côtes normandes et réussissent à percer les lignes allemandes. Les troupes allemandes occupent la France depuis l’armistice du 22 juin 1940. Le débarquement marque une succession de défaites du côté allemand suite à l’avancée alliées dans les terres.

En Bretagne, les troupes allemandes qui stationnent dans les grandes villes de la région se dirigent d’abord vers la frontière normande pour essayer de repousser les Américains. Les Allemands essuient les défaites dans les grandes villes comme Rennes ou Saint-Brieuc. Les Américains avancent progressivement et rapidement en Bretagne ce qui entraîne la fuite précipitée des troupes allemandes vers Brest pour assiéger la ville et protéger la flotte militaire. C’est dans cette fuite, Plouvien est la cible de représailles allemandes

Il s’agit ici d’expliquer la formation des troupes américaines qui ont libérées Plouvien le 7 août 1944 et la joie que cela à procurer aux habitants. Puis d’étudier le déplacement des troupes allemandes vers Brest et l’arrestation de certaines d’entre elles à Plouvien.

I – 7 août 1944, l’arrivée des Américains

« Dimanche 6 août. Les Allemands ont quitté le bourg depuis quelques jours. Dans la soirée on entend le bruit du canon et on aperçoit des lueurs du côté de Lesneven¹. » 

La population finistérienne sait que les Alliés sont proches, les défaites successives de l’occupant depuis le Débarquement se font savoir et entendre à travers la presse, la radio et les bruits de bombardements qui se rapprochent de jours en jours.

Les Allemands ont quitté la commune de Plouvien le 2 août² à la suite d’un ordre général donné à toutes les troupes se trouvant à l’ouest, de rejoindre Brest pour défendre la ville et son port.

Du côté des Américains, l’Opération Cobra est un succès, Avranches est libérée et les troupes peuvent maintenant s’avancer dans les terres bretonnes. Le 3 août 1944 la 6^e division blindée américaine, commandée par le Major Général Robert W. Grow³, libère la ville de Dinan.

La division reçoit pour ordre d’avancer vers Brest en deux colonnes. La première, nommée « Combat Command A » (CCA), doit passer par Gaël, Pontivy, Gourin, Carhaix, Châteaulin et arriver à Brest par le sud-est. La deuxième, « Combat Command B » (CCB), passe par Broons, Merdrignac, Carhaix, Huelgoat, Sizun, Elorn puis Brest⁴. Le 6 août, les troupes reçoivent l’ordre d’éviter les grands axes et doivent donc s’enfoncer dans les terres pour arriver à Brest par le nord. La CCB rejoint Lesneven où elle est retenue par une forte présence allemande⁵. Des combats ont lieu, Yvette Le Borgne, née Vourc’h se souvient du dimanche 6 août. Elle raconte qu’en rentrant d’un après-midi au bord de l’Aber-Benoît son chien était paniqué et ne s’arrêtait pas d’aboyer, c’est alors qu’elle et ses parents remarquèrent des lumières au loin et un bruit sourd de canons et d’avions⁶.

Le 7 août, après avoir chassé les Allemands de Lesneven, la CCB prend la route vers Plouvien⁷ pour y cueillir les derniers soldats présents et donc libérer la commune et les hameaux aux alentours.

II – La joie populaire

Ce même jour, sur son trajet, le convoi américain traverse la commune de Loc-Brévalaire. En tête du convoi, les motards et la jeep de tête suivis des chars, le drapeau américain en évidence. Le passage de la première partie du convoi a duré environ trois heures, comptant environ 5 000 voitures⁸, et l’opération s’est renouvelée toute la journée.

Quelques kilomètres plus loin, les Américains arrivent à Plouvien, les habitants sortent de leurs maisons, surpris par ce convoi interminable. C’est le soulagement pour tout le monde de voir les véhicules brandissant la bannière étoilée, la population est heureuse⁹. Des photos montrent l’enthousiasme de la population, la joie des adultes et des enfants, fêtant l’arrivée du libérateur. Sur l’une d’elles¹⁰ on observe un halftrack américain et ses soldats accompagnés d’une famille plouviennoise. L’homme à gauche fait le V de la victoire avec sa main, un signe signifiant la victoire et la liberté. La femme à sa gauche brandit une bouteille de vin montrant alors l’ambiance légère et festive de cette journée du 7 août 1944. A l’avant du véhicule on voit deux jeunes enfants assis. De manière générale tout le monde semble fier et heureux de poser avec les soldats américains.

Le cortège dure environ dix-huit heures, les acclamations ne cessent pas, les cloches sonnent sans s’arrêter, un immense drapeau est brandit sur le clocher de l’église¹¹. L’abbé François Floc’h écrit dans le journal de la paroisse : « M. Le Recteur, en compagnie de M. l’abbé Stéphan […] fait déployer le drapeau et sonner les cloches. Enthousiasme général !!! »¹² Avant de continuer leur chemin vers Brest les soldats reçoivent des cadeaux tels que des fleurs, des bouteilles d’alcool, des poires du verger du presbytère¹³. En échange les Américains leurs donnent des bonbons, du chocolat, du chewing-gum… Les habitants sont heureux de pouvoir parler avec eux et de les remercier¹⁴.

Le soir une messe est célébrée par le recteur, l’abbé Emile Salaün, dans la chapelle Saint-Jaoua, pour fêter la Libération mais aussi procéder aux obsèques de six soldats américains tués au combat, cinq la veille au Cloître-Saint-Thégonnec et un à Bourg-Blanc le jour même. Ils sont enterrés dans l’enclos, et leurs tombes recouvertes de fleurs déposées par les soldats et les habitants¹⁵. Il s’agit de soldats de la 6^e division blindée (6th armored division), du 50^e bataillon d’infanterie blindée (50th Armored Infantery Battalion) et du 69^e bataillon blindé (69th Tank Battalion) :

• Captain Harold G. Smith HQ,
• Lieutenant Max Lebida,
• Private First Class Raymond Durken,
• Technical Sergeant John W.Shei,
• Corporal Robert A. Clark,
• Private First Class Ralph E. Lake.

Les corps de ces six soldats ont été transférés aux Etats-Unis en 1947 à la demande des familles¹⁶.

A la suite de cette messe, la fête continue jusqu’à tard puisque les voitures continuent de passer dans la ville et y restent stationnées jusqu’au lendemain, le reste du convoi étant resté entre Bourg-Blanc et Gouesnou pour nettoyer ces zones. Sur la photo ci-dessous¹⁷ on voit un véhicule sanitaire, reconnaissable par sa croix rouge. Les habitants sont agglutinés devant, des remerciements sont inscrits sur les bâches du véhicule. Reconnaissable par sa barrette et sa soutane, l’abbé Emile Salaün est au cœur de du rassemblement. Il s’agit là de la dernière photographie du recteur, il fera partie des 25 fusillés de Plouvien du 8 août 1944.

III – Le retour des Allemands

Sur le chemin des troupes allemandes, beaucoup de civils tombent sous leurs balles, de « nombreuses atrocités sont commises¹⁸ », notamment sous celles des différents régiments de la 266^e division d’infanterie commandée par le Generalleutnant Karl Spang. Cette dernière avait pour ordre de protéger le Mur de l’Atlantique entre Saint-Brieuc et Plouescat. Le 31 juillet, la division reçoit l’ordre de rejoindre Guingamp¹⁹, mais le 2 août, un contre-ordre est donné, la colonne doit tenter une percée à Nantes et Saint-Nazaire. Cependant, les Américains sont proches, le 4 août c’est l’ordre de se replier sur Brest qui est donné.

La 266^e division compte des vétérans du front de l’Est et reçoit plus tard des bataillons de l’Est, ce qui donne un âge moyen de 34 ans. Elle comporte plusieurs unités combattantes dont 2 régiments d’infanterie (ou grenadiers) comportant eux-mêmes 3 bataillons, pour un total de 8874 hommes²⁰.

Le 4 et 5 août 1944 à Saint-Pol-de-Léon, 26 civils sont fusillés par mesure de représailles²¹ après qu’un soldat allemand ait été retrouvé mort. Les Allemands avaient pour ordre de détruire la ville en tirant au hasard, blessant de nombreux civils en plus de ceux tués. Parmi les responsables, ont été identifiés des soldats de différents régiments de la 266^e division d’infanterie, notamment le 899^e régiment de grenadiers commandé par le Colonel Martin Fürst²².

En 1954, il écrit un rapport comportant des cartes et des éléments sur les semaines précédant la Libération de Brest, notamment sur la poche du Conquet. Les cartes suivantes²³ témoignent du passage des troupes allemandes dans de nombreuses communes où des fusillés sont recensés. Sur la première carte figurent les convois hippomobiles partant de la ville de Morlaix et se séparant sur les grands axes principaux notamment Saint-Pol-de-Léon. La deuxième est la preuve du passage des Allemands à Plouvien. La zone entourée, en plus des flèches, montre un affrontement entre les Allemands et les Américains, ici entre Plouvien et Plabennec.

Après les actes commis à Saint-Pol-de-Léon, la colonne prend la direction de Lesneven où des tirs sont échangés, puis Loc-Brévalaire et Plouvien. A 8 heures, le mardi 8 août, les habitants de Plouvien arrêtent toutes leurs activités pour regarder de nouveau une colonne motorisée traverser le bourg²⁴, cette dernière était allemande mais les habitants pensaient au départ voir des Américains, alors, de nombreuses personnes font le V de la victoire à nouveau²⁵. Mais ils comprennent vite qu’il s’agit d’Allemands, les drapeaux et oriflammes étendus la veille sont enlevés des maisons, tout le monde reprend ses activités pour éviter toute provocation²⁶. Dans cette colonne sont présentes trois compagnies d’Infanterie dirigées par le Capitaine Fritsche et trois autres batteries d’artillerie commandées par les Oberleutnants Ott et Etzel²⁷, mais aussi des groupes du 899^e régiment de grenadiers commandés par le Colonel Fürst.

Vers midi, le corps d’un soldat allemand est retrouvé par ses camarades, derrière le café Bihan, au bourg, abattu par des résistants venu de communes alentours²⁸. L’état de siège est déclaré, et la tuerie commence. Entre le bourg de Plouvien et le Narret (en direction de Bourg-Blanc), vingt-cinq civils sont tués par les Allemands. Le lendemain huit autres sont tués entre Loc-Brévalaire et l’entrée du bourg de Plouvien.

La fin de journée du 9 août est rythmée par des frappes de l’aviation américaine ainsi que par un combat terrestre dans le bourg de Plouvien. Quelques temps auparavant, à 14h30 vers Bourg-Blanc, le Generalleutnant Karl Spang a été capturé par les Américains²⁹. La nouvelle de sa capture se diffuse au sein des troupes alentours. Quelques minutes plus tard, à 15 heures, les troupes qui stationnent à Plouvien réfléchissent à se rendre, n’ayant plus de commandant. Toutes les troupes allemandes finissent par cesser leur résistance et se rendent. Du côté Américain, un officier est mort, 11 hommes sont tués et 38 autres sont blessés. Le but de l’attaque aérienne était de détruire les derniers éléments, hommes, véhicules, canons… 800 soldats sont fait prisonniers, 230 sont tués et environ 250 à 300 véhicules sont détruits³⁰.

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1. Archives diocésaines de Quimper, 2P209/7, Journal de paroisse de Plouvien écrit par l’abbé François Floc’h, Août 1944. ↩︎
2. Témoignage écrit de Thérèse Ménec, chez l’auteure, non daté. ↩︎
3. La 6^e division blindée américaine appartenait au VIII^e corps commandé par le Général Troy H. Middleton, qui faisait lui-même partie de la 3^e armée US sous le commandement du Général George S. Patton. ↩︎
4. Archives privées Gildas Priol, after report de la 6^e division blindée Américaine du 27/07 au 16/09 1944. ↩︎
5. Idem. ↩︎
6. Témoignage téléphonique d’Yvette Le Borgne, née Vourc’h, chez l’auteure, 06/09/2024. ↩︎
7. Archives privées Gildas Priol, after report de la 6^e division blindée Américaine du 27/07 au 16/09 1944. ↩︎
8. Idem. ↩︎
9. Témoignage téléphonique d’Yvette Le Borgne, « On était heureux », chez l’auteure, 06/09/2024. ↩︎
10. Archives privées Gildas Priol, ensemble de photos prises à Plouvien le 7 août 1944 par Louis Bothorel. ↩︎
11. Archives diocésaine de Quimper, 2P209/7, Article du Télégramme de Brest et de l’Ouest « Les dernières batailles au bourg de Plouvien », octobre 1944. ↩︎
12. Ibidem. ↩︎
13. L.BOTHOREL, Plouvien août 1944, les civils dans la guerre, la bataille de Plouvien, Plouvien, Skolig al Louarn, 2003 [1989], p. 32. ↩︎
14. Témoignage écrit de Thérèse Ménec, chez l’auteure, non daté. ↩︎
15. L.BOTHOREL, Plouvien août 1944, les civils dans la guerre, la bataille de Plouvien, Plouvien, Skolig al Louarn, 2003 [1989], p. 32. ↩︎
16. Idem. ↩︎
17. Archives privées Gildas Priol, ensemble de photos prises à Plouvien le 7 août 1944 par Louis Bothorel. ↩︎
18. Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, 1045 w 9, Compte rendu de crimes de guerre, commissaire de police judiciaire Marcel Henaut, 18/07/1949. ↩︎
19. ADIV, 1045 w 17, Procès-verbal de Gustav Ecke par le commissaire de Police Judiciaire Marcel Henaut, 27/09/1947. ↩︎
20. Yannig KERHOUSSE, Historique de la 266Infanterie Division, Saint-Brieuc, chez l’auteur, 2018, p46. ↩︎
21. ADIV 1045 w 26, Rapport sommaire sur le massacre de civils à Saint-Pol-de-Léon, non daté. ↩︎
22. Bundesarchiv, ZA 1/3195, rapport et cartes du Colonel Martin Fürst, 1954. ↩︎
23. Idem. ↩︎
24. ADIV, 1045 w 17, procès-verbaux de civils de Plouvien, ici Louise Kuistintit, par la Gendarmerie de Plabennec, 04/11/1944. ↩︎
25. Témoignage téléphonique d’Yvette Le Borgne, née Vourc’h, chez l’auteure, 06/09/2024. ↩︎
26. L.BOTHOREL, Plouvien août 1944, les civils dans la guerre, la bataille de Plouvien, Plouvien, Skolig al Louarn, 2003 [1989], p37. ↩︎
27. ADIV, 1045 w 17, commission rogatoire concernant des crimes de guerre en Plouvien, par l’inspecteur de Police Judiciaire Pierre Carbonnier, 04/10/1947. ↩︎
28. BOTHOREL Louis, Plouvien août 1944 : les civils dans la guerre, Plouvien, Skolig al Louarn, 2003 [1989], p39. ↩︎
29. Archives privées Gildas Priol, after report de la 6^e division blindée Américaine du 27/07 au 16/09 1944. ↩︎
30. Archives diocésaines de Quimper, 2P126/1, Journal de paroisse de Loc-Brévalaire par l’abbé Jean-Marie Pailler, 08/1944. ↩︎

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