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Les chefs-lieux de civitates armoricaines, de véritables aimants à villae

La Gaule romaine illustre une organisation où centres urbains et zones rurales sont interdépendants. Les chefs-lieux de civitates, comme Darioritum, Condate ou Fanum Martis, jouent un rôle clé dans le développement régional. Autour de ces villes, les villae témoignent d’une richesse économique et d’un lien étroit avec les axes de communication. Cet équilibre entre urbanité et ruralité reflète les stratégies des élites, alliant production agricole, commerce, et villégiature selon le modèle romain.

I- Darioritum, le chef-lieu de la civitas des Vénètes

Les alentours de la ville de Darioritum, chef-lieu de la civitas des Vénètes, constituent le plus important regroupement de villae en Armorique. En effet, on en dénombre 9 dans un rayon de 30 kilomètres autour de la ville, et 7 d’entre elles se trouvent même dans un rayon de seulement 10 kilomètres. 

Les villae du golfe du Morbihan se caractérisent par une propension au luxe plus systématique qu’ailleurs. La villa de la Pointe de La Garenne en Le Hézo en est un bon exemple. En effet, on retrouve dans le secteur IV de cet établissement, probablement la partie résidentielle, des décorations de mosaïques. La présence de mosaïque est très rare dans les villae armoricaines. Seuls les établissements du Hézo1 et de Carnac2 en comportent. Ces occurrences traduisent inévitablement de la richesse et de l’importance, sinon politique, au moins économique de ces domini

Figure 1: Fragment de mosaïque découvert dans la villa des Bosseno en Carnac. Musée départemental breton, Quimper.

Si nous ne connaissons pas précisément l’identité de ces domini, nous pouvons émettre l’hypothèse que ces derniers appartenaient à l’élite de la civitas des Vénètes. Ces propriétaires occupaient probablement un rôle politique important à Darioritum, ville dans laquelle ils y détenaient une domus, et aux alentours de laquelle ils détenaient des villae. En fait, les élites armoricaines, et plus largement gauloises, ont repris cette tendance des élites romaines de la retraite en nature. L’historien William Van Andringa, dans son article intitulé “Histoire et archéologie de la Gaule romaine”, écrit en ce sens : “Les notables agissent alors comme Pline en entretenant des villas sur l’ager et une domus en ville, les deux expressions de son emprise foncière sur la cité”.3 

La ville de Darioritum, en sa qualité de centre politique, économique et culturel important, est parcouru par plusieurs voies terrestres importantes. Certains propriétaires de villae ont choisi leur situation en fonction de la proximité de ces voies, si facilitantes pour, d’une part, écouler la production agricole, et d’autre part pour faciliter le voyage entre la domus urbaine et l’établissement rural. La villa du Boizy, située aujourd’hui à Vannes même, se trouve à seulement 200 mètres de la voie romaine reliant Nantes à la pointe de la Bretagne en longeant la côte sud.4 Cette voie passe, entre autres, à Darioritum et Quimper. Les villae de Talhouët en Theix-Noyalo et de Tréalvé en Saint-Avé sont, elles, idéalement situées entre deux axes de circulation majeurs. En effet, la villa de Talhouët se situe à 1 kilomètre au sud de la voie DarioritumDuretie et à 2 kilomètres au nord de la voie Condevicnum-Quimper.5 La villa de Tréalvé, elle, se trouve à 1 kilomètre au nord de la voie DarioritumDuretie et à 2 kilomètres au sud de la voie DarioritumCondate.6 

Un autre avantage de la région de Darioritum, le golfe. Souvent, les voies fluviales ou maritimes sont non seulement plus rapides, mais aussi moins dangereuses. À Arradon, on trouve trois villae : au Lodo7, à Mané Bourgerel8 et à Kerran9 . Ces villae utilisaient sans doute des itinéraires fluviaux pour atteindre Darioritum, en rejoignant par exemple la rivière du Vincin ou de la Marle. Ces établissements nous permettent de mieux appréhender l’importance capitale que revêtent les différentes voies de communication pour des établissements agricoles de grande ampleur. Cela permet de comprendre les caractères essentiels du fonctionnement d’une villa. En effet, ces établissements sont indissociables des grands centres urbains. Les villae ont besoin de ces derniers d’un point de vue économique, pour écouler leurs productions, et les élites urbaines investissent les zones rurales dans un objectif de profit, mais aussi de villégiature.

Figure 2: Carte des voies romaine d’Armorique. Éveillard, J-Y, Les voies romaines en Bretagne, Skol Vreizh, Morlaix, 2016.

II- Condate, le chef-lieu de la civitas des Riedons

La ville de Darioritum, même si elle représente le mieux la dynamique d’interdépendance en place entre les villae et les centres urbains, tout en mettant en exergue l’importance de l’otium jusqu’en Armorique, n’est pas la seule concentration de ce type d’établissements. Le chef-lieu de la civitas des Riedones, Condate, représente aussi un centre urbain très important en Armorique. Aux alentours de Condate, nous pouvons dénombrer quatre sites, tous dans un rayon de 10 kilomètres autour de la ville. Comme pour Darioritum, ces villae profitent largement des avantages conférés par les centres urbains : des voies de communication pour acheminer les marchandises et de nombreux consommateurs pour les écouler.  

La villa des Petits Prés en Montgermont, juste au nord de l’actuelle ville de Rennes, était apparemment très bien desservie. En effet, a été mis au jour lors des fouilles un chemin qui marque la limite nord de la pars urbana. Annaïg Le Martret évoque, dans le rapport de fouille, une hypothèse quant à ce chemin. Ce dernier pourrait très bien rejoindre une voie antique bien plus importante, reliant Condate à Fanum Martis, le chef-lieu des Coriosolites. Cette voie, dont le tracé se rapporterait à celui de l’ancienne RN137, se situerait à environ 1300 mètres à l’est du site des Petits Prés.10 

Au sud de Condate, la villa de La Guyomerais en Noyal-Châtillon-Sur-Seiche, la plus importante du corpus retenu, avec ses quelques 3000m² au sol, s’est, elle aussi, installée selon une logique de proximité avec son chef-lieu. En effet, lors d’une fouille entreprise en 1986 par Alain Provost, a été découvert un chemin alors identifié comme privé.11 En fait, les fouilles dirigées par Bastien Simier ont permis de corriger le tir, en affirmant que ce chemin était en fait une voie secondaire antique, et qu’elle rejoignait au nord la voie CondateCondevicnum.12 

Figure 3: Plan de la villa de la Guyomerais en Noyal-Châtillon-sur-Seiche. Ferrette, Romuald, « Noyal-Châtillon-sur-Seiche (35). 34 rue des Potiers : la villa de la Guyomerais, une illustration de l’aristocratie municipale de Rennes ? Rapport de fouille », Service régional de l’archéologie de Bretagne, 2021.

Enfin, nous connaissons deux villae localisées sur la commune de Cesson-Sévigné, à l’est de Rennes. Ces deux établissements, relativement proches l’un de l’autre, sont idéalement situés à la sortie de Condate. Là, ont été découvertes deux voies antiques majeures : la voie Condate-Noviodunum (Jublains), et la voie Condate-Vindunum (Le Mans). Les villae de Moucon13 et des Champs Blancs14 en Cesson-Sévigné se trouvent entre ces deux voies, la première d’entre elles se situant à leur nord, et la seconde à leur sud. Aussi, ces villae bénéficient de leur proximité avec la Vilaine, qui passe à environ 1,7 kilomètres au sud de l’établissement de Moucon. Cette rivière mène directement à Condate et sa présence fut sans doute un argument de l’installation de ces entreprises rurales à cette localisation. 

Figure 4: Localisation des fouilles de la villa de Moucon en Cesson-Sévigné par rapport aux voies antiques. Simier, Bastien, « Cesson-Sévigné (35). ZAC Atalante-ViaSilva : la villa de Moucon, un domaine aux portes de Condate. Rapport de fouille » Service régional de l’archéologie de Bretagne, 2021.

III- Fanum Martis, le chef-lieu de la civitas des Coriosolites

Les abords de Fanum Martis, le chef-lieu de la civitas des Coriosolites, constituent une autre aire de regroupement de villae. En fait, la singularité de cette zone tient à la diversité de ses centres urbains. En effet, Fanum Martis est accompagnée à son nord-est par l’agglomération secondaire d’Alet (Saint-Malo) et à son sud-est par Taden. L’agglomération de Taden s’est développée au niveau du gué emprunté par la voie romaine reliant Fanum Martis à Legedia (Avranches) sur la Rance. Taden servait alors de port fluvial à sa capitale, Fanum Martis.15 Le triangle constitué par ces trois agglomérations recèle donc de nombreuses voies de communication, majeures ou secondaires. 

On dénombre dans cette zone trois villae. La première, située le plus au sud, se trouve au Quiou. Cette villa très importante (environ 2240m²) se trouve à moins de 15 kilomètres de l’agglomération secondaire de Taden. Cet établissement se situe dans le bassin des Faluns. Ce bassin est reconnu pour abriter une roche riche en débris coquilliers. Ce sédiment a été exploité à l’époque romaine pour l’amendement des terres et pour la construction (chaux et moellons).16 A été reconnue aux alentours du Quiou une portion de la voie romaine reliant Condate à Fanum Martis. Aussi, la Rance passe au nord du site et permet de rejoindre Taden, ou même Alet en un temps réduit. 

Nous connaissons également une villa sur la commune de Taden. Cette villa, située dans la ZAC des Alleux, occupe une surface au sol d’environ 1000m². Nous avons vu plus tôt que l’agglomération de Taden occupait une place importante dans la région, et l’établissement des Alleux bénéficie de cette situation. La voie LegediaFanum Martis passe à environ 1,5 kilomètres au nord du site, au niveau du gué de la Rance. Aussi, une voie venant de Condate rejoint la voie Fanum MartisLegedia au sud de Taden. Bien sûr, cet établissement devait aussi sans doute profiter de la Rance comme itinéraire fluvial pour atteindre Alet au nord ou Le Quiou au sud.17 Comme les villae de Cesson-Sévigné, la villa de la ZAC des Alleux de Taden bénéficie d’une situation idéale pour le commerce ainsi que pour accueillir les élites de sa capitale. La présence d’une voie terrestre majeure couplée à la proximité d’un cours d’eau important constitue un terreau fertile pour développer les activités agricoles et commerciales d’une villa

Enfin, à Langrolay-Sur-Rance, au lieu-dit Sur Les Vaux, a été découverte une villa importante. Cette villa se situe, elle aussi, à proximité de la voie Fanum MartisLegedia, et se trouve sur la rive gauche de la Rance.18 

Cette zone, délimitée par un triangle dont les sommets correspondent à trois agglomérations importantes, constitue un véritable carrefour d’itinéraires. Ces voies terrestres permettent aux établissements agricoles de commercer plus efficacement et donc de maximiser les profits. Aussi, la Rance représente un axe de communication naturel idéal, ce qui a probablement influencé le développement de centres urbains et des villae aux alentours. 

Figure 5: Plan de la villa de La Gare en Le Quiou. Labaune-Jean, Le Merrer, « Un nouvel ensemble décoratif de la villa du Quiou (Côtes-d’Armor, France) ». Aremorica. Études sur l’ouest de la Gaule romaine 4, no 1, 2010.

  1. Daré, « L’établissement antique de la pointe de la Garenne au Hézo (Morbihan) », 2007, p. 7.  ↩︎
  2. Société archéologique du Finistère, Bulletin de la société archéologique du Finistère, 1876, p. 72. ↩︎
  3. Van Andringa, « Histoire et archéologie de la Gaule romaine », 2021, p. 5. ↩︎
  4. « Vannes (56). Le Boizy. rapport de fp 2010, 2011, 1, 47 », 2010, pp. 8-9. ↩︎
  5. Pretre, « Theix-Noyalo (56). Rue de Talhouët. Rapport de Fouille », 2021, p. 30. ↩︎
  6. Triste, « Saint-Avé (56). Villa antique de Tréalvé. rapport de sauvetage urgent. », 1984, p.29.  ↩︎
  7. Leroux, « Arradon (56). Chemin du Lodo. Rapport de diagnostic », 2017.  ↩︎
  8. Simier, « Arradon (56). 10 allée de Mané Bourgerel. Rapport de diagnostic », 2015 ↩︎
  9. Triste, « Arradon (56). La villa Gallo-Romaine de Kerran à Pen-er-Men. Rapport de fouille programmée », 1999. ↩︎
  10. Le Martret, Bron, et Lotton, « Mongermont (35), ZAC Les Petits prés, un établissement rural gallo-romain de la région rennaise », 2015, p. 36. ↩︎
  11. Provost, « Noyal-Châtillon-sur-Seiche (35). La Guyaumerais. Rapport de sauvetage programmé. » ↩︎
  12. Simier, « Noyal-Châtillon-sur-Seiche (35). Berges de la Seiche », 2016, p. 73.  ↩︎
  13. Simier, « Cesson-Sévigné (35). ZAC Atalante-ViaSilva », 2021, p. 46. ↩︎
  14. Sicard, « Cesson-Sévigné (35). Les Champs Blancs », 2016, p. 27.  ↩︎
  15. Langouët, « Un vicus gallo-romain, routier et portuaire », 1985, p. 81.  ↩︎
  16. Requi, « Le Quiou  (22). La Villa de la gare. Rapport de FP 2016 », 2016, p. 21.  ↩︎
  17. Ferrette, « Taden (22). ZAC des Alleux », 2008.  ↩︎
  18. Simier, « Langrolay-sur-Rance (22). La villa de SDU les Vaux. Rapport de fouille », 2019, p. 52. ↩︎


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Baptiste Gac (9 décembre 2024). Les chefs-lieux de civitates armoricaines, de véritables aimants à villae. Master civilisations, cultures et sociétés. Consulté le 17 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12vj4


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