La voie de l’urgence en Master de sciences humaines et sociales : Témoignage sur un changement de sujet de mémoire en cours de route
Quand on évolue dans un environnement de travail qui est devenu toxique par la force des choses, il paraît important de se préserver et de changer sa trajectoire pour retrouver un cadre propice à une recherche scientifique épanouissante. La voie de l’urgence devient, en ce sens, un challenge et une opportunité d’ajustement vers ce qui nous correspond véritablement.

Capture d’écran Lettre d’Henri Martin à Théodore Hersart de La Villemarqué, l’informant qu’il va publier un article dans la Revue Nationale sur le baron d’Eckstein et qu’il lit la vie d’Iolo Morganwg, Fonds Théodore Hersart de la Villemarqué, Archives départementale du Finistère, 5 février 1862
Changer de sujet de mémoire en cours de deuxième année de Master est un exercice qui demande de se positionner rapidement à tous les niveaux. En l’espèce, j’ai relevé trois aspects importants à prendre en compte pour avancer sereinement. Tout d’abord, il y a l’aspect professionnel à organiser si nous avons besoin de travailler en parallèle de nos études ; ensuite il y a le fil rouge de notre plan de formation à reconsidérer si besoin ; enfin il y a la dimension personnelle, c’est-à-dire son rapport aux éléments déclencheurs qui conduisent à ce réajustement de parcours. Par exemple, il était essentiel, pour moi, que la frustration ne soit pas le moteur des changements à venir. Quand l’urgence est là, nous pouvons légitimement nous demander si nous serons capable de proposer un travail conséquent et de qualité en très peu de temps. Dans ma situation, il s’agissait de réaliser un mémoire sur environ quatre mois.
Après mûre réflexion, me voici parti pour poursuivre le traitement analytique d’un fonds d’archives et plus précisément celui de Théodore Hersart de La Villemarqué (1815-1895). C’est une figure d’érudition française et bretonne du XIXème siècle qui a, entre autres, marqué les esprits par son Barzaz-Breiz, un texte bâti à partir de chants populaires publié en 18391 avec une résonance allant bien au-delà des frontières de la Bretagne. Cette œuvre a rencontré plusieurs controverses mais elle a le mérite d’avoir ouvert la voie de la collecte des traditions orales bretonnes2. L’œuvre conséquente de La Villemarqué est inventoriée au sein des archives départementales du Finistère depuis 20183. Mon étude se construit autour d’une correspondance de 83 lettres entre Théodore Hersart de La Villemarqué et Henri Martin (1810-1883)4. Ce dernier est un historien et un homme politique français qui s’est longtemps intéressé à l’étude de l’histoire de la France dans son ensemble. Ses recherches avaient pour particularité de s’attarder, entre autres, sur des aspects historiques propres à certaines régions telles que la Bretagne. Dans cette correspondance, nous découvrons son attrait pour le celtisme qui, pour lui, ferait écho au passé gaulois de la France5.
Dans ce cadre, j’avais pour objectif de transcrire l’ensemble du corpus épistolaire, de le questionner et de proposer des pistes d’analyses. Il nous paraissait important à ma directrice de recherche et à moi-même de nous intéresser à un potentiel réseau de sociabilité entourant nos deux érudits. Ainsi, grâce à leur correspondance nous pouvions en savoir plus sur la construction des sciences humaines au XIXème siècle. En ses termes, le sociologue Bernard Valade évoque les réseaux de sociabilité comme se définissant « en termes de contacts, d’échanges, de relations entre un ensemble d’acteurs »6. Il dit que « les « réseaux de sociabilité » présentent les caractéristiques générales des « réseaux sociaux ». Comme ceux-ci, ils ont pour trame une série d’interactions de formes diverses et sont centrés sur les relations – non sur les attributs individuels ou collectifs »7. Nous pouvons ajouter qu’un « réseau de sociabilité ne se réduit cependant pas à une simple somme de relations sociales. Sa structure doit être à la fois envisagée comme contrainte formelle et effet émergent d’interactions »8.
J’ai à cœur d’insister sur le caractère exploratoire de cette courte étude ethno-historique venant ainsi compléter modestement les travaux de mes pairs. A mon niveau, je me suis appliqué à constituer des clés et des outils dans une perspective d’un développement analytique plus ambitieux. La recherche c’est prendre part, de mon point de vue, à quelque chose qui nous dépasse et qui est plus grand que nous. C’est agir, du mieux possible, concrètement, factuellement et collectivement sur les savoirs d’aujourd’hui et de demain. Finalement, travailler dans l’urgence en Master de recherche à l’université c’est une expérience que l’on choisit ou pas de réaliser. Nous pouvons considérer qu’étudier un seul et même sujet pendant toutes nos années d’études ou s’essayer à plusieurs thématiques est tout aussi formateur d’un côté comme de l’autre. N’est-ce pas là le but d’un diplôme, d’une formation et de l’instruction ? Et quoi de mieux pour un jeune apprenti-chercheur que d’explorer différentes sortes de lignes qui se relient telles un tissage9 cohérent lors de la mise en perspective ?
Plus généralement, la question du sens et/ou du pourquoi mener de front ces années de recherche universitaire revient très souvent. Il me semble que la réponse pourrait se trouver dans le sens que nous-même y mettons au sein d’un cadre garanti (ou pas) par l’institution. Il s’agirait alors de faire un choix et d’établir un plan d’action avec une personne de confiance et qui est prête à vous suivre et à vous guider dans cette aventure. Il est important de bien choisir la ou les personnes qui encadrent vos travaux. N’hésitez pas à prendre le temps qu’il faut et à bien peser le pour et le contre avant de vous engager. Un chemin tout tracé n’est pas toujours le meilleur choix. Et une proposition aussi alléchante soit-elle ne vous garantira pas toujours les conditions de travail les plus épanouissantes. Gardez le cap, ne pliez pas face aux aléas d’un monde universitaire parfois difficile dans son rapport à l’autre. La communication, l’acceptation, le pardon, le courage et la résilience sont des clés pour traverser ces épreuves de la vie.
En guise de conclusion, je dirais que changer de sujet de mémoire en cours de route n’est pas une fatalité. Au contraire, travailler dans l’urgence se perçoit moins comme un poids qu’un challenge à relever pour soi-même et pour celles et ceux qui croient vraiment en vous.
Matthias Koehler – Contact : matthias.koehler@mailo.com
- LAURENT Donatien, Aux sources du Barzaz-Breiz. La mémoire d’un peuple, Douarnenez, ArMen, Le Chasse-Marée, 1989. [↩]
- POSTIC Fañch, « Le Beau contre le Vrai ? La “ Querelle du Barzaz-Breiz ” (1866-1868) », Bérose – Encyclopédie
internationale des histoires de l’anthropologie, Paris, 2015, Lien URL : https://www.berose.fr/article724.html. [↩] - Archives départementales du Finistère, consultée le 03 mai 2025, lien URL : https://archives.finistere.frmatieresbretonnes/theodore-hersart-de-la-villemarque. [↩]
- 80 lettres concernent les échanges entre La Villemarqué et Henri Martin l’historien, pour ce qui est des trois autres il s’agirait d’un autre Henri Martin (cf. KOEHLER Matthias, Correspondance entre Henri Martin et Théodore Hersart de La Villemarqué (1840-1883) : Contribution exploratoire sur la construction des sciences humaines au XIXème siècle (Ethnologie ; histoire ; philosophie ; études bretonnes et celtiques ), Brest : Université de Bretagne occidentale, Mémoire de Master 2 : Breton, 2025). [↩]
- Ibid. [↩]
- VALADE Bernard, « Les réseaux de sociabilité », Les réseaux, CNRS Éditions, 2012, lien URL : https://doi.org/10.4000/books.editionscnrs.19297. [↩]
- Ibid. [↩]
- Ibid. [↩]
- Référence à l’œuvre Une brève histoire des lignes de Tim Ingold (2007) et traduit en français en 2011. [↩]
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
mkoehler (25 août 2025). La voie de l’urgence en Master de sciences humaines et sociales : Témoignage sur un changement de sujet de mémoire en cours de route. Master civilisations, cultures et sociétés. Consulté le 14 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/14hy1
