La Révolution française selon Augustin Barruel : théorie d’un complot contre la religion et les rois

Introduction 

     Augustin Barruel (1741-1820) est un prêtre jésuite et essayiste polémiste français. Il est né le 2 octobre 1741, à Villeneuve-en-Berg. Il est le fils d’Antoine Barruel , seigneur de Saint-Pons et de Madelaine Meunier. Sa famille est incorporée à la noblesse après l’accès à la robe de son père. Le début de son apprentissage scolaire se fait à la maison par ses parents. Mais très vite Augustin montre une vocation pour le sacerdoce et prend la place de son frère cadet dans cette voie. Le jeune garçon est envoyé chez les jésuites à Tournon, où il se distingue très vite comme un brillant élève. L’ambition d’Augustin Barruel est de devenir jésuite, pour cela en 1756, il entre au noviciat de Toulouse. En 1758, il prononce ses premiers vœux et devient professeur d’humanité jusqu’en 1762¹. 
     Un premier événement perturbe ses ambitions de prêtrise, le 26 novembre 1764, Louis XV acte la dissolution de la Compagnie de Jésus² et prononce l’expulsion des jésuites du royaume de France. En tant que citoyens français, les prêtres jésuites sont autorisés à rester, mais ils ne doivent plus enseigner. Pour le jeune homme d’à peine vingt-trois ans, la vocation est bien trop solide, il est donc contraint à l’exil. Puis, le 16 août 1773³ , le pape Clément XIV (1705-1774) met fin à tous ses espoirs, il publie le Bref pontifical qui supprime la compagnie de missionnaires, ces derniers devenant ainsi de simples prêtres séculiers. 
     Ces différents événements n’empêchent toutefois pas, Augustin Barruel, de garder foi en la religion et la papauté, ainsi qu’en la royauté française à laquelle il est très attaché. Et c’est à partir de la suppression des jésuites en France qu’il se met à écrire notamment sur la royauté lorsque Louis XVI (1754-1793) monte sur le trône⁴. 
     C’est à cette période qu’il revient en France et il se rend alors compte de certains changements dans la société. En commençant par une période d’irréligion, ainsi que la montée en puissance des idées des Lumières en France et de leur influence sur les intellectuels et les milieux dirigeants⁵. C’est pour cela qu’en 1781, il publie Les Helviennes, ce sont des lettres contre les encyclopédistes et la philosophie des Lumières. Puis entre 1788 et 1792, il est rédacteur dans le Journal ecclésiastique⁶ et publie de nombreux articles contre les philosophes mais les événements qui accompagnent la Révolution française le force à quitter la France pour l’Angleterre. C’est là-bas, loin de la terreur révolutionnaire, qu’il écrit en cinq volumes : Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme, publiés entre 1797 et 1803. Ces mémoires connaissent un large succès et sont traduites en plusieurs langues. 
     Il est donc ici question de mettre en lumière le complot théorisé par Augustin Barruel dans ses Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme, d’en identifier son fondateur et ses objectifs. 

Les responsables de la Révolution française selon Barruel 

     Augustin Barruel identifie, dans son discours préliminaire⁷, deux causes à la Révolution française : la première est d’ordre surnaturelle, pour lui, cela s’exerce par la volonté de la Providence⁸ de punir la France pour avoir donné l’exemple d’une société décadente à travers son désordre intellectuel et moral à l’Europe au XVIIIè siècle. Puis, une cause naturelle, qu’il tente de démontrer tout au long des cinq tomes de Histoire du jacobinisme⁹ qui est le grand complot des philosophes et des sociétés secrètes à l’encontre de l’Eglise catholique et contre l’Etat tout au long du XVIIIè siècle et ayant comme aboutissant la Révolution française. 

“Vers le milieu du siècle où nous vivons, trois hommes se rencontrèrent, tous trois pénétrés d’une profonde haine contre le Christianisme. Ces trois hommes étaient Voltaire, d’Alembert et Frédéric II roi de Prusse. Voltaire haïssait la religion, parce qu’il jalousait son auteur et tous ceux dont elle avait fait la gloire ; d’Alembert, parce que son cœur froid ne pouvait rien aimer ; Frédéric, parce qu’il ne l’avait jamais connue que par ses ennemis.”

Augustin Barruel dans Mémoire pour servir à l’histoire du jacobinisme, Tome 1, p.11

Les philosophes des Lumières :  Voltaire, chef de file de la conspiration

     Dès le premier chapitre de son texte, Augustin Barruel identifie et présente ceux qu’ils désignent comme “principaux auteurs de la conspiration”. Ainsi, il présente Voltaire, d’Alembert et Frédéric II de Prusse comme réunit dans une haine du Christianisme et y ajoute Diderot. 
     Il s’occupe donc dans un premier temps de décrire Marie-François Arouet (1694-1778) dit Voltaire, qu’il désigne comme “le chef” car Barruel le voit comme une personne imbue d’elle-même, recherchant la gloire à n’importe quel prix. Notamment au travers de ses productions littéraires jugées “impies ou obscènes”. Et qui se serait tourné contre la religion dès sa jeunesse en reniant l’éducation qui lui avait été donnée par le collège jésuite Louis-le-Grand. 
Puis vient le tour de Jean Le Rond d’Alembert (1717-1783) que l’auteur désigne comme “l’agent le plus rusé”, car selon lui, c’est quelqu’un qui se cache qui n’affiche pas clairement ses opinions. Le mathématicien serait un moyen pour Voltaire de trouver de nouveaux disciples à cette conjuration : de “réunir les Athées, les Déistes et les Spinozistes pour écraser plus efficacement l’infâme”. (Lettre 37, 1770)
Il présente, ensuite, Frédéric II (1712-1786) comme “le protecteur et le conseiller”. Il en présente deux facettes : roi de Prusse, mais également comme “pédant philosophe” Dans une lettre adressé à Voltaire, il désigne la religion comme une “erreur populaire” engendrée par “la crédulité des gens absurdes et stupides” (Lettre 53, 1728). 
Enfin, il cite Denis Diderot (1713-1784) comme “l’enfant perdu” étant uni à Voltaire jusqu’à la mort. Il aurait comme intérêt dans leur conjuration de dire tout ce que d’Alembert n’oserait formuler en écrivant le plus franchement ce qu’il pense. 

     Augustin Barruel montre, au travers de ses chapitres, une volonté réelle, parfois même répétitive pour prouver ses allégations en apportant le plus de preuves concernant cette conjuration de sophistes. Les preuves principales sont les correspondances de Voltaire avec les différents acteurs de ce complot, lettres qui sont très nombreuses et auxquelles donc il a accès. Le jésuite en site souvent des passages tout au long de sa réflexion. Il se sert également du livre de Nicolas de Condorcet (1743 – 1793), La vie de Voltaire publié en 1789. Ce dernier étant lui-même identifié par l’auteur comme faisant partie de cette conjuration antichrétienne. 
Ces preuves concernent des passages où les conjurateurs utilisent par exemple des mots de guet¹⁰ qui serait pour Voltaire : “écraser l’infâme” qu’Augustin Barruel retrouve à de nombreuses reprises dans les correspondances que le philosophe entretient avec d’Alembert, Frédéric II ou encore Condorcet. 

     Aux dires de l’auteur, l’origine de la coalition s’acte en 1728. Cette date marque le retour de Voltaire en France. Un retour qui s’explique par son obligation d’exil en 1726 : il a une altercation avec le chevalier Guy-Auguste de Rohan-Chabot (1683-1760), faisant partie d’une des plus grandes familles du royaume. Voltaire est alors roué de coup, il souhaite porter plainte mais aucun de ses proches ne veut le soutenir face à un Rohan. Son agresseur obtient de son côté que le philosophe soit arrêté, il est alors conduit à la Bastille. D’où il ne peut être libéré que s’il accepte l’exil. C’est une grande humiliation pour Voltaire qui quitte alors la France pour l’Angleterre¹¹. Et ce serait à Londres qu’il aurait prononcé son serment antichrétien. Mais il lui faut du temps pour regrouper ses adeptes. Le complot prend donc réellement forme lors du projet de l’Encyclopédie initiée par d’Alembert et Diderot et décrite par Barruel comme le “réceptacle universel et en quelque sorte l’arsenal de tous les sophistes et de toutes les armes de l’impiété contre la religion du Christ”. C’est cette même année, qu’il part pour Berlin rencontrer Frédéric II, la conjuration est donc au complet. 
     

“Sous le nom désastreux de Jacobins, une secte a paru dans les premiers jours de la Révolution française, enseignant que les hommes sont tous égaux et libres ; au nom de cette égalité, de cette liberté désorganisatrices, foulant aux pieds les autels et les trônes ; au nom de cette même égalité, de cette même liberté, appelant tous les peuples aux désastres de la rébellions et aux horreurs de l’anarchie.”

Augustin Barruel dans Mémoire pour servir à l’histoire du jacobinisme, Tome 1, p.1

Conclusion 

     Les Mémoires du jacobinisme sont pour Augustin Barruel un moyen d’apporter toutes les preuves qu’il a accumulé contre les philosophes des Lumières. En tant qu’homme d’église, il ne peut regarder ce qu’il se passe en France, avant et pendant la Révolution, sans réagir. Ce polémiste est une des premières personnes à écrire sur la Révolution française. Il multiplie les preuves, virant même à l’obsession et la répétition, pour montrer à ses lecteurs que cet événement n’est pas arrivé sans anticipation en France. Mais que c’est un complot organisé depuis des dizaines d’années dans le secret à l’initiative des philosophes des Lumières. Ils sont également aidés et soutenus par les Franc-maçons et les Illuminés de Bavière¹². Ces trois acteurs forment au début de la Révolution, le club des Jacobins, qui est pour Barruel le déclencheur ultime de la suppression des jésuites et de la chute du trône. 

1. Lagrave C., “La vie et l’oeuvre du R.P Augustin de Barruel de la Compagnie de Jésus” in Barruel A., Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme, tome 1, Editions de Chiré, Chiré-en-Montreuil, 2005 [↩]
2. Lacouture J., Jésuites, une multibiographie, 1. Les conquérants, Editions du Seuil, Paris, 1991. La Compagnie de Jésus est créée en 1534 par une groupe d’étudiants parisiens, avec à sa tête Ignace de Loyola (1491-1556). Ils sont reconnus officiellement par le pape Paul III (1468-1549) en 1540 et deviennent rapidement le premier corps enseignant de la catholicité moderne [↩]
3. Fabre P-A., Goujon P., Suppression et rétablissement de la Compagnie de Jésus (1773 – 1814), Editions Jésuites, Paris, 2014 [↩]
4. Beaurepaire P-Y., 1715-1789 : La France des Lumières, Belin, Paris, 2014 [↩]
5. Furet F., Richet D., La Révolution française, Hachette, Paris, 2010 [↩]
6. http://dictionnaire-journaux.gazettes18e.fr/journal/0727-journal-ecclesiastique-2 : Le Journal ecclésiastique aussi appelé Bibliothèque raisonnée des sciences ecclésiastiques dure d’octobre 1760 jusqu’à juillet 1792. Ce journal est fondé par l’abbé Joseph-Antoine-Toussaint Dinouart (1716-1786), dont l’abbé Augustin Barruel prend la tête de 1788 à 1792 [↩]
7. Barruel A., Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme, tome 1, Editions de Chiré, Chiré-en-Montreuil, 2005 [↩]
8. La Providence est définie comme la volonté de Dieu [↩]
9. raccourci donné aux Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme [↩]
10. espèce de formule inintelligible ou vulgaire, mais dont l’explication secrète n’est connu que par les personnes faisant parties d’un groupe par qui il est utilisé [↩]
11. Condorcet J., Vie de Voltaire, Quai Voltaire Eds, Paris, 1994 [↩]
12. Barruel A., Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme, tome 2, Editions de Chiré, Chiré-en-Montreuil, 2005 [↩]

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